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— Elle est à Belveser, répondit laconiquement la Rousse.

— Ah ! murmura Anastasie d’une voix plus faible ; elle y est revenue après le mariage…

— Quel mariage ? fit la Rousse étonnée.

— Le sien, répondit Mlle de Colobrières.

— Elle n’est pas mariée, dit la jeune servante.

— Elle n’est pas mariée !… répéta Gaston en regardant sa sœur. Tous deux avaient pâli à ce mot ; mais aucune autre marque d’émotion ne trahit la surprise et la joie dont cette nouvelle inattendue pénétrait leur ame. Anastasie garda le silence, et Gaston dit seulement avec une apparence de sang-froid : — Voyons, tâche de nous apprendre ce qui s’est passé là-bas, et pourquoi le mariage de ma cousine a été différé…

— Elle devait donc se marier ? dit la Rousse d’un ton bref ; on l’ignorait dans le pays. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle est encore fille ; je n’en sais pas davantage.

— Vous pouvez vous retirer, mon enfant, dit la mère Angélique en lui montrant la porte où l’attendait une sœur converse.

Dès ce jour, le cadet de Colobrières et sa sœur souffrirent un autre supplice. Une douloureuse impression succéda promptement à la joie que les paroles de la Rousse avaient laissée dans ces âmes souffrantes ; elles tombèrent dans des anxiétés cruelles, car elles étaient réduites à trembler et à frémir dans l’attente d’un événement qu’elles avaient cru accompli. Gaston rentra dans sa mansarde, plus triste, plus rongé de soucis, plus malheureux que jamais, et Mlle de Colobrières demeura en proie aux amères inquiétudes, aux tourmens d’une imagination exaltée par des souvenirs qu’attisaient le calme extérieur, l’immobilité de la vie claustrale.

La règle, cette puissance occulte et inflexible, eut bientôt plié le naturel violent et passionné de la Rousse ; les sœurs converses étaient étroitement soumises, quoiqu’elles ne fissent que des vœux simples ; les anciennes surveillaient les novices dans leurs humbles fonctions, et les dirigeaient avec cet admirable esprit qui est le lien et la force des congrégations religieuses. Les habitudes austères de la vie monastique n’établissant aucun rapport entre les sœurs converses et le reste de la communauté, la Rousse ne rencontrait guère Mlle de Colobrières que dans le chœur, pendant la messe conventuelle que les converses entendaient tous les jours ; quant au cadet de Colobrières, elle ne l’avait pas entrevu une seule fois, ni dans le couvent, ni dans la rue, où elle n’allait que rarement et toujours en compagnie d’une sœur dont la vigilance était bien connue.