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Quelques semaines se passèrent ainsi. Un soir, la supérieure, au lieu de se retirer, comme de coutume, dans sa cellule après l’oraison, passa au quartier des novices et vint retrouver Anastasie. La jeune fille avait déjà quitté son voile, et ses beaux cheveux dénoués flottaient sur sa robe de bure comme un riche manteau de soie.

— Vous voilà comme sainte Madeleine, dit la mère Angélique en passant la main sur cette chevelure onduleuse et noire comme la nuit ; il n’y a pas de parure mondaine aussi belle que ce voile donné par le bon Dieu.

— Bientôt, ma mère, je dois m’en dépouiller, répondit Anastasie avec un mélancolique sourire ; en un moment, il sera tombé sous les ciseaux…

La mère Angélique hocha la tête en soupirant, et reprit d’un ton plus grave : — Ma fille, j’ai reçu aujourd’hui une lettre qui vous est adressée. Selon mon devoir, je l’ai décachetée et je l’ai lue d’abord…. Elle est de votre cousine, Mlle Maragnon, et je peux vous la remettre ; la voici….

— Oh ! ma chère mère, c’est Éléonore qui m’écrit ! murmura Mlle de Colobrières toute tremblante et en hésitant à prendre la lettre ; sans doute, elle m’annonce une nouvelle…. Hélas ! qu’ai-je besoin d’apprendre ce qui se passe dans le monde ?…

— Voulez-vous que je lise moi-même, mon enfant ? dit doucement la supérieure.

Elle ouvrit la lettre et lut :


Au château de Belveser, ce 20 mai 17…

« MA BIEN-AIMEE COUSINE,

« Depuis quelque temps déjà, je suis retournée dans cette chère solitude vers laquelle mon cœur est revenu mille fois pendant mon absence, et où je croyais venir vous rejoindre ; mais, au lieu du bonheur que j’espérais, je n’ai trouvé qu’un affreux chagrin. Oh ! ma chère cousine, est-il possible que vous soyez partie ainsi, sans laisser un souvenir, un adieu pour votre Éléonore ? Je n’ai pu me résigner à cette entière séparation ; je me suis informée, et j’ai appris que vous étiez à Paris, au grand couvent de la Miséricorde. Aussitôt, Anastasie, j’ai formé une résolution que vous allez connaître ; vous verrez si mon amitié est fidèle, je vais vous en donner une sûre preuve. Mais d’abord je dois vous raconter ce qui s’est passé après le triste jour où je vous fis mes adieux à la Roche du Capucin.

« En vous quittant, je montai en voiture toute pleurante, et je m’éloignai de Belsever avec des déchiremens de cœur, des regrets que je ne saurais vous exprimer. Pendant toute la route, j’essayai