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peu les principes du vrai et du bien que pendant le sommeil naturel ces différentes pensées qui nous y agitent n’étant peut-être que des illusions pareilles à l’écoulement du temps et aux vaines fantaisies de nos songes. » Puis, enfin, dans un autre instant, Pascal, après avoir relu ces lignes, les a barrées. C’est la conscience de ses tourmens qui le rend si sombre, si amer, quand il parle de la misère de l’homme ; alors il appelle l’homme un cloaque d’incertitude et d’erreur, et, pour sauver l’humanité, sur ce cloaque il plante la croix plutôt avec désespoir qu’avec amour. On comprendra maintenant pourquoi l’appréciation que M. Bordas-Demoulin a faite de Pascal est incomplète : elle n’en est pas moins remarquable par des pages d’une rare vigueur. Le morceau sur les Provinciales mérite surtout d’être signalé ; il y règne un mouvement oratoire tout-à-fait en harmonie avec le ton de ces immortelles petites lettres dont Voltaire a dit que toutes les sortes d’éloquence y étaient renfermées. Il semblerait que par ces mots Voltaire voulait prévenir les éloges académiques.

M. Bordas-Demoulin a une philosophie de l’histoire qu’il est assez difficile de discuter. Il croit au péché originel, et non-seulement il applique ce dogme à l’individu, mais à l’histoire générale du monde. A ses yeux, c’est avec la chute de notre premier père que la marche du genre humain est claire et certaine. Une fois déchu, le genre humain oublie Dieu et s’égare dans l’idolâtrie : toutes les sociétés antiques ne sont qu’une conséquence du péché originel. Par l’effet de la chute, le genre humain, en se multipliant, s’est divisé en une multitude innombrable de peuples différens par le culte, les lois, les mœurs, les intérêts, ayant chacun ses erreurs, ses préjugés, ses folies. Jésus-Christ est venu, et il a relevé le genre humain dans la religion par l’établissement de l’église ; il l’a relevé dans la politique par la révolution française. Aussi tous les peuples vont bientôt, sous le règne de la vérité et de la raison, retourner à l’unité vers laquelle convergent aujourd’hui les nations chrétiennes. Ici nous ne sommes plus en face d’une opinion, d’une théorie philosophique ; nous avons devant nous une croyance intime, un article de foi, et de pareilles choses ne se discutent point. Seulement nous constaterons que le dernier mot de la philosophie nouvelle de M. Bordas-Demoulin est le mysticisme ; nous remarquerons aussi que M. Demoulin, qui attribue à l’église un si grand rôle tant dans le passé que dans l’avenir, a pour le clergé contemporain des paroles d’une sévérité presque haineuse ; il le représente plongé dans l’ignorance et l’aveuglement, étant enfin le seul ennemi réel, dangereux, de l’église et de la religion. Aussi déclare-t-il