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l’originalité du génie allemand. Également éloigné de l’exagération et des ménagemens timides, il reproduisit toutes les hardiesses du poète, les particularités du langage, les variétés même du rhythme, et déploya partout une intelligence supérieure et un art infini. Il ne s’agissait plus d’établir, suivant le précepte de Delille, une juste compensation, en restituant d’un côté au poète ce qu’on lui faisait perdre de l’autre. M. Schlegel ne se demanda pas ce qu’eût pu dire Shakspeare composant ses pièces en allemand et au XIXe siècle ; mais il comprit ce qu’il avait dit, le sentit vivement, et s’imposa de le répéter. Toutes les difficultés étaient réunies, elles furent toutes vaincues. Quelquefois même on se prend à regretter cet excès de perfection ; on aimerait mieux, dans quelques passages obscurs, une traduction moins fidèle, qui, par les différences même, pourrait servir à interpréter plus clairement la pensée de l’auteur.

Un grand nombre de poésies détachées datent aussi de cette époque. Quelques-unes, telles que Pygmalion et Prométhée, sont des souvenirs de l’antiquité. L’auteur s’est borné à recueillir les traits épars que lui fournissait la fable, et à les exprimer en un langage digne du temps auquel nous reporte le sujet. A la même pensée se rattache la romance d'Arion. Cette poétique légende d’Arion sauvé des flots par les dauphins, que la douceur de ses chants a charmés, avait séduit dans l’antiquité toutes les imaginations. Il semble qu’on en ait fait le sujet d’un concours auquel prirent part poètes et prosateurs. Dans ce concours, M. Schlegel eût figuré dignement. Après les vers d’Ovide, après les récits d’Hérodote, de Dion Chrysostôme et de Plutarque, il ne restait pas, à vrai dire, une grande place à l’invention. M. Schlegel a dû presque se borner à fondre ensemble ces récits divers, et à en composer un drame achevé dans toutes ses parties. Il a trouvé cependant quelques traits qui avaient échappé à ses devanciers. Par une heureuse divination, Arion, au moment de mourir, chante la puissance de l’harmonie ; il rappelle le souvenir de ceux qui ont repassé le fleuve sombre, et, en se précipitant dans les flots, se recommande aux néréides. L’idée de la vengeance qu’il tire de ses ennemis appartient à M. Schlegel. Au moment où Périandre les mande auprès de lui, Arion apparaît subitement à leurs yeux tel qu’il était en se jetant à la mer.

« Ses membres gracieux sont couverts de l’or et de la pourpre étincelante, une robe flottante tombe à longs plis sur ses pieds, ses bras sont ornés de bracelets ; sa chevelure parfumée se déroule sur son cou, son front et ses joues.