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grande place aux individus ; les intérêts particuliers avaient obscurci les idées générales. Tout ainsi préparait une révolution dans l’art. Le poète dramatique surtout, plus astreint qu’un autre à tenir compte de l’état des esprits, dut se proposer un nouvel objet. Les fables mythologiques furent remplacées par des sujets empruntés à l’histoire ou aux légendes, et de là naquirent de nouvelles exigences. A la peinture des sentimens abstraits succéda celle des caractères individuels. On s’attacha soigneusement à des circonstances indifférentes en apparence, mais qui pouvaient secrètement agir sur la marche des évènemens ou en mieux faire comprendre le sens. Au lieu de contempler les choses dans une disposition exclusive, qui ne permet d’en voir que le côté sérieux ou plaisant, on chercha à réaliser une vérité plus voisine peut-être que l’autre de la nature et de la vie, dans laquelle se rassemblent les choses les plus opposées, le rire et les larmes, le burlesque et le terrible, la vie et la mort. Telle fut l’inspiration à laquelle obéirent Shakspeare et les poètes espagnols, sans s’inquiéter de ce qu’on avait fait avant eux, ni de ce qu’on faisait ailleurs. Ces créateurs du drame, s’abandonnant à l’impulsion de leur génie, eussent été fort embarrassés, sans doute, d’indiquer les principes secrets qui les avaient guidés. Ce fut à discerner ces principes, à les faire pénétrer dans les esprits, que s’appliqua M. Schlegel. Après avoir dépeint éloquemment le côté poétique du christianisme, il montra le caractère sérieux et contemplatif des peuples du Nord venant en aide à cette influence bienfaisante. Il fit voir comment à leur héroïsme grossier, mais sincère, se rattachaient les idées fécondes de chevalerie et d’honneur, et de cette époque de rénovation il marqua l’ère des littératures modernes.

Afin de mieux faire comprendre la théorie du drame romantique, M. Schlegel eut recours encore à un de ces rapprochemens que lui fournissait sa connaissance raisonnée des beaux-arts. Il avait comparé la tragédie grecque, à un groupe de sculpture ; le drame lui représente un vaste tableau comprenant des personnages entourés de tout ce qui peut donner à leur existence plus de réalité et de mouvement. Si la peinture ne peut rivaliser avec la statuaire pour le modelé des formes, en revanche la couleur donne plus de vie à l’imitation, et l’expression de la physionomie, animée par l’éclat du regard, révèle toutes les émotions de l’ame dans des nuances presque insaisissables.

Quand ces idées se firent jour en France, ou même quand M. Schlegel les exposait à Vienne, le Génie du Christianisme avait paru depuis plusieurs années, précédé lui-même par le livre de Mme de Staël