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sans quelque embarras ; mais pourquoi faut-il que M. Schlegel ait jeté dans sa vie des épisodes longs comme une vie entière ? Après nous avoir conduits à travers l’Europe, du nord au sud et de l’est à l’ouest, il part, quand on pourrait croire ses courses finies, pour des contrées inconnues. Qu’il nous soit permis de suivre de loin l’intrépide voyageur que nous avions jusqu’ici accompagné en disciple fidèle.

Un divin personnage dit quelque part dans le Bhagavad-Gita : « La science qui s’applique à un seul sujet, comme si c’était le tout, étroite et manquant de principes, n’atteint pas les hautes vérités ; on l’appelle une science obscure. » M. Schlegel avait deviné cette vérité quand il tenta de faire rentrer l’Orient dans le cercle déjà immense de ses études. Au dire des juges les plus éclairés, le temps lui a manqué pour faire faire à la science des progrès considérables, mais il en fut au moins l’habile et heureux propagateur. L’étude de l’Inde était alors une nouveauté et inspirait quelque défiance. Le seul fait de la coopération de M. Schlegel fut un immense service. L’autorité de son nom ne fut pas moins utile que sa rare sagacité. Ce témoignage de la part d’un homme en possession d’une haute illustration littéraire et scientifique, et qu’on ne pouvait soupçonner de se laisser prendre à des chimères, produisit l’effet le plus souhaitable ; il gagna à la science le zèle d’un petit nombre d’adeptes et l’estime de tous les érudits.

Le besoin de collationner les manuscrits et de conférer avec les savans de tous les pays décida M. Schlegel à faire plusieurs voyages à Paris, à Londres, à Berlin. Se trouvant dans cette ville en 1827, il fut invité à faire un cours sur l’histoire des beaux-arts. Des extraits de ses leçons ont été traduits en français[1], et font regretter que la pensée du professeur n’ait pas été reproduite plus complètement. Tout en s’élevant aux plus hautes considérations sur le beau, il n’oublie pas que l’art doit profiter lui-même des observations qu’il fait naître, et passant, par une transition naturelle, de la théorie à l’application, il donne d’utiles conseils aux artistes. Cependant ces leçons, dans lesquelles le professeur dut se borner à des indications succinctes, n’étaient pas destinées à former un livre ; elles n’étaient que l’esquisse d’un grand ouvrage qui resta toujours à l’état de projet. Il est fâcheux que le traducteur français qui les a recueillies n’y ait pas joint du moins quelques articles plus étendus publiés à une autre époque dans divers journaux, et réimprimés dans les Kristische Schriflen. M. Schlegel

  1. Leçons sur l’histoire et la théorie des beaux-arts, traduites par A.-F. Couturier de Vienne. Paris, 1831.