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l’y avait lui-même engagé : Il y a surtout un de ces articles sur les rapports de l’art et de la nature qui eût servi à établir nettement le point de départ de l’auteur. Pour déterminer la part qu’il convient d’attribuer à la nature dans les œuvres d’art, il est nécessaire de bien s’entendre sur le sens du mot nature. Selon M. Schlegel, ce mot, dans son acception la plus élevée, ne comprend pas seulement l’ensemble des êtres, il embrasse la force toujours agissante qui renouvelle incessamment la création. Grace à cette prodigieuse activité, chaque atome est le miroir du monde ; mais c’est surtout dans l’homme qu’il se reflète. L’homme est un monde en abrégé, et seul, par un glorieux privilège, il peut contempler en lui-même l’image vivante de la nature ; c’est l’universalité avec laquelle la nature pénètre dans l’intelligence de l’homme, et est pour lui reproduite dans le monde extérieur, qui est la mesure de son génie. A travers ce langage un peu voilé, on peut reconnaître que, selon M. Schlegel, il n’est pas besoin de recourir, pour expliquer l’idéal, à la notion de l’infini, à cette perfection imaginaire que nous concevons même à la vue de formes défectueuses. L’homme n’est pas chargé de refaire l’œuvre de Dieu ; il lui suffit de l’observer et de la sentir. Si ses sens sont assez délicats pour en découvrir les merveilles cachées, son intelligence assez haute pour en comprendre les lois, si son ame surtout est assez ardente pour contenir toute l’émotion dont frémit elle-même la nature, il est digne de la reproduire et il n’a qu’à l’imiter. L’idéal peut l’aider encore à deviner ce qu’il ne peut voir, mais ne doit pas servir à dénaturer ce qu’il a vu ; seulement il faut se souvenir qu’imiter la nature, c’est être initié à ses secrets, agir d’après ses principes, et en quelque sorte participer à sa puissance. Ainsi imitait Prométhée, pour nous servir d’une image de M. Schlegel, quand il formait l’homme d’une parcelle de terre, et l’animait avec une étincelle dérobée au soleil.

De retour à Bonn, M. Schlegel reprit ses leçons sur la littérature, et continua la publication de ses travaux sanscrits. L’Almanach de Berlin, 1829, 1831, contient deux articles d’un grand intérêt, dans lesquels sont résumées toutes les connaissances actuelles sur l’Inde. Vers le même temps, il composait en français ses Réflexions sur l’étude des langues asiatiques, où il discutait toutes les publications entreprises et projetées par la Société asiatique de Londres (1832). Deux ans après parut l’essai sur l’origine des Hindous. Au milieu de ces occupations sévères, il eut l’occasion de revenir une fois à ses poètes chéris, Dante, Pétrarque, Boccace. M. Rosetti, professeur à l’université