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Henri Estienne, amassait les matériaux d’un vaste lexique ; tel, comme Casaubon, examinait les titres douteux d’un ouvrage que des faussaires ou des commerçans avides offraient, pour un grand prix, à la munificence souvent aveugle des Ptolémées ; tel autre, comme Naudé, voyageur intelligent et négociateur bibliophile, obtenait, sur garantie, du peuple d’Athènes, l’exemplaire officiel des tragédies d’Eschyle, de Sophocle et d’Euripide, exemplaire dû aux soins de l’orateur Lycurgue, et précieusement conservé dans l’Acropole, où, pour le dire en passant, il ne rentra jamais[1] ; un autre fixait, comme Vaugelas, les lois de l’atticisme par l’exemple des bons écrivains et la discussion des locutions contestées. Je trouve même, sous le règne de Ptolémée-Philadelphe, une poétesse, femme et mère de savans, qui me rappelle, en vérité, la fameuse Mme Dacier, fille de l’helléniste Le Fèbre, et femme d’un philologue dont elle partagea les travaux. Myro ou Moero, native de Byzance, eut pour mari le philologue Andronicus, et pour fils Homère le tragique, un des six poètes qui composaient à Alexandrie une sorte de pléiade secondaire après celle des grands poètes d’Athènes. Elle avait écrit en vers héroïques un poème intitulé Mnémosyne, en outre divers morceaux élégiaques et lyriques ; enfin des épigrammes dont il reste quelques fragmens[2]. Comme Anne Le Fèbre, il paraît qu’elle avait aussi commenté le vieil Homère, et on lui fait honneur d’avoir, la première, expliqué certain passage obscur de l’Odyssée[3]. Tous ces illustres académiciens d’un autre âge avaient aussi leurs séances, où ils débattaient des questions littéraires, et où ils étaient partagés en deux classes, selon leur aptitude à poser des problèmes ou à les résoudre. Nous avons les procès-verbaux de quelques séances de ce genre, qui font plus d’honneur au zèle des grammairiens qu’à la gravité de leur esprit et de leur science[4]. Quelquefois pourtant la critique prenait à Alexandrie un rôle plus solennel encore, et qui rappelle notre Académie française, rédigeant, pour composer la première édition de son dictionnaire, une liste des auteurs classiques et jugés dignes d’en fournir les matériaux. C’était un bibliothécaire, qui, sous l’autorité sans doute et avec les avis de ses confrères, dressait le Canon des poètes épiques, lyriques, dramatiques ou comiques, celui des historiens et des orateurs.

  1. Plutarque, Vie de l’orateur Lycurgue ; Quintilien, x, 1, § 66 ; Nissen, De Lycurgi oratoris vita et rebus gestis (Kiel, 1833, in-8o), p. 86.
  2. Fabricius, Bibl. Groeca, t. II, p. 131.
  3. Scholies sur le chant XII, vers 62.
  4. Voir Dugas-Montbel, Histoire des poésies homériques, p. 115.