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et que leur audace a quelquefois réussi ; mais ces exclusions arbitraires ne sont pas le plus étrange procédé dont ils se permissent l’emploi. Aristarque s’avisa un jour d’enlever deux vers à l’Iliade, dans la description du bouclier d’Achille où ils figuraient très bien, pour les reporter avec trois autres, qu’il avait sans doute trouvés ailleurs, dans le quatrième chant de l’Odyssée, où ils figurent à contre-sens au milieu d’une description de la cour de Ménélas. Athénée a déjà relevé cette idée malheureuse et si contraire aux sages principes que s’était posés Aristarque[1] : c’est que les plus grands esprits n’échappent pas à l’inconséquence, et qu’il est plus facile de se donner des règles que de les bien appliquer en toute occasion. Voyez de quelle main Aristote a, dans sa Poétique, tracé la théorie de l’épopée, et comparez ensuite avec les traits hardis de cette ébauche philosophique les minuties que nous ont conservées sous le nom du même Aristote les commentateurs d’Homère. Que d’esprit dépensé en pure perte sur des problèmes ou puérils, ou imaginaires, pour décider par exemple comment Neptune a pu produire un fils aussi laid que le cyclope, ou comment la tête de Gorgone peut se trouver à la fois aux enfers et sur le bouclier d’un dieu[2] !

Le plus important problème de cette philologie homérique est malheureusement celui sur lequel nous possédons aujourd’hui le moins de renseignemens. Quelques grammairiens attribuaient l’Iliade et l’Odyssée à deux auteurs différens. Xénon est un des défenseurs de ce système, qu’attaquait sans doute Aristarque dans son livre Contre le paradoxe de Xénon ; mais ce qui reste de cette polémique se borne à un petit nombre de futilités. Le lecteur y trouverait aussi peu d’intérêt que de profit ; il souscrirait volontiers à certain jugement de Sénèque[3] sur cette discussion familière aux écoles grecques, et renouvelée de nos jours avec supériorité par Benjamin Constant. D’ailleurs, le seul fragment qui nous reste des objections d’Aristarque contre Xénon n’a pas même aujourd’hui un rapport direct et saisissable avec la question soulevée par ce grammairien et par Hellanicus.

Enfin on attribue[4] à l’école d’Aristarque la division de chacun

  1. Athénée, liv. V, p. 181.
  2. Scholies de l’Odyssée, IX, 106 ; XI, 633. Voyez encore, sur l’Iliade, III, 411, et VII, 93.
  3. De Brevitate vitoe, c. XIII : « Graecorum ille morbus fuit quaerere quem numerum remigum Ulysses habuisset : prior scripta esset Ilias an Odyssea, praeterea an ejusdem esset auctoris. »
  4. Pseudo-Plutarque, De la Poésie d’Homère, c. II.