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de l’industrie rustique, parce qu’elle s’applique de près à la nature C’est là surtout qu’on sent l’action du travailleur et la sainteté du travail, c’est dans cet intime rapprochement des puissances de la matière et des puissances de la volonté. Il n’est rien de solennel comme cette lutte opiniâtre de la force humaine s’attaquant toute seule aux forces invisibles de la terre ou des eaux, rien du moins, si ce n’est la lutte de l’esprit humain contre lui-même, la guerre des idées contre les idées. Pour celle-là, je la retrouvai tout d’abord en entrant à Fribourg, sur un théâtre et dans des circonstances qui lui prêtaient un intérêt particulier. Il y avait guerre en effet, guerre au sein de l’église comme au sein de l’école.

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que l’université de Fribourg fut jadis un des foyers les plus actifs de la propagande entreprise par l’empereur Joseph II. Les jésuites à peine chassés, on y enseigna les quatre articles de la déclaration du clergé de France, et il se mêla même quelque arrière-goût de jansénisme à cette improvisation gallicane. Il s’y mêla bien autre chose : c’était au plus vif de cette grande passion du XVIIIe siècle pour l’humanité ; Herder et Lessing la prêchaient et l’inspiraient en Allemagne à peu près en même temps et de la même manière que chez nous notre Jean-Jacques. Nathan-le-Sage donnerait presque la main au vicaire savoyard. Il s’exhalait de tous les cœurs une sorte de tendresse philosophique qui était comme la charité de l’époque ; on se pardonnait toutes les différences de culte et d’opinion, tant on était heureux de se saluer en commun de ce beau nom d’homme dont il semblait qu’on eût retrouvé les titres ; cette mutuelle tolérance conduisait insensiblement à je ne sais quel idéal de religion primitive, où la raison toute seule se plaisait à se prouver son Dieu. Ce Dieu, bien entendu, n’était pas encore la raison elle-même : le despotisme hégélien méprisa fort ce rationalisme vulgaire, comme il l’a dédaigneusement appelé ; mais alors, en vérité, les esprits émancipés de la veille se sentaient encore trop fiers du libre développement de leur énergie individuelle pour abdiquer si vite au profit de l’absolu. Bien leur en prit, j’imagine, et nous devons tout au moins leur en savoir gré. Ce fut un beau moment, trop vite effacé du reste, parce que les pratiques administratives vinrent atténuer ce qu’il avait d’élan poétique et naïf : cette noble école de 1780 prépara les voies aux institutions et à la pensée française de l’autre côté du Rhin. Le plus sage, le plus illustre des docteurs qu’elle ait laissés après elle, je dirais volontiers son apôtre, c’est M. de Wessenberg. Administrateur du diocèse de Constance, M. de Wessenberg a gouverné l’Allemagne