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sultan, et le mamelouk, observant du haut de son fort les démarches de celui-ci, conçut le projet de lui tirer au passage un coup de canon à mitraille. En même temps, l’Égyptien songea à former une conspiration qui fut bientôt découverte. Il donna dans un piège que lui tendit le sultan, et périt assassiné sous les yeux de ce prince, qu’il voulait détrôner pour prix de ses bienfaits. Sa maison fut démolie ; il ne resta aucune trace de l’apparition dans le pays d’un hôte aussi dangereux. Peu à peu les complices du mamelouk périrent en prison car en arabe le mot juste a un peu le sens de justicier : il est synonyme de sévère. Abd-el-Rahmân ne se montrait clément que lorsque l’occasion le permettait. Sa conduite envers Kinâneli en fournit une preuve. Cette femme, qu’il avait épousée par politique, éprouva bientôt de sa part des dédains dont elle résolut de se venger en le renversant de son trône. La conspiration ne réussit point : une jeune fille fort belle, élevée par l’ambitieuse princesse et aimée du sultan, découvrit le fatal secret. Abd-el-Rahmân fit égorger Kinâneh, rechercher ses complices, dont aucun n’échappa à sa colère, et déporter le fils de la sultane (Habyb, qu’elle avait eu de Tyrâb) dans les monts Marrah. « Après ces exécutions, dit Mohammed-el-Tounsy plus habitué que nous à de semblables épisodes, tout resta calme et tranquille. » En Orient, les têtes tombent à la parole du maître sans que le peuple s’en émeuve, sans même qu’il s’intéresse au sort des victimes. Si un cadavre flotte sur le Nil, le marinier se détourne en disant : Laissez passer la justice de sa hautesse

Peu s’en fallut que Kourrâ, le fidèle cheikh, n’encourût lui-même une disgrace : à la tête d’une puissante armée, il avait repoussé une invasion de Hâchim, le sultan dépossédé du Kordofâl, et était resté dans ce pays en qualité de vice-roi. Des envieux vinrent murmurer à l’oreille du prince que Kourrâ songeait à se déclarer indépendant. Le sultan remit à un émyn une paire de fers, et lui dit : — Prends ces entraves, attache-les-lui aux pieds, et envoie-moi le traître avec ses troupes. — Kourrâ, loin de résister aux ordres de son maître, se mit de sa propre main les fers aux pieds, se les fit clouer et river par des ouvriers, et arriva ainsi au Dârfour. Le sultan, informé de son approche, se hâta de le délivrer de ces entraves, et le combla d’honneurs à la face de tous les vizirs, en s’écriant : — N’avais-je pas raison quand je vous assurais que Kourrâ ne se révolterait jamais contre moi ? — Cependant, si Abd-el-Rahmân en eût été sûr, aurait-il obligé son serviteur dévoué à lui donner une marque aussi excessive de sa soumission ? Kourrâ n’en voulut point au sultan de cette épreuve humiliante :