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Abd-el-Rahmân étant mort quelque temps après, il prit à cœur d’élever sur le trône le prince Mohammed-Fadl, son fils.

Durant la minorité du jeune monarque, Kourrâ gouverna en qualité de régent. Pour la troisième fois la haine des grands s’attaqua à lui, et il succomba. Ses ennemis l’accusèrent encore près du petit prince de se préparer à la révolte. Mohammed-Fadl le fit appeler ; mais Fourré, outré d’indignation, refusa de se présenter devant lui. Menacé dans ses biens et dans sa vie, poussé à bout, il devint en effet rebelle, battit les troupes de son maître, et fit trembler sur le trône l’enfant qu’il y avait placé par son influence et soutenu par sa fermeté. Toutefois ce rôle de pacha révolté, Kourrâ le soutenait par force, à contre-cœur ; il lui tardait d’en finir. La mort de son frère, tué dans une de ces fatales batailles, fut cause qu’il prit tout à coup une résolution désespérée. — J’ai horreur de la vie, dit-il aux siens. Demain, gardez-vous de combattre quand vous m’aurez vu pénétrer au milieu de la mêlée ; songez seulement à vous conserver. Là-dessus, il congédia son armée, qui l’abandonna à l’exception d’un millier d’amis fidèles jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Le lendemain, on monta à cheval au bruit des tambours ; Bourré, exaspéré, se lança comme un lion au milieu des troupes impériales, et se fraya une route sanglante jusqu’en face du sultan. Il n’a qu’à frapper un coup de plus, et le Dârfour n’a plus de maître ; mais le souvenir des bienfaits dont l’a comblé le père de ce débile souverain arrête son bras : il le regarde avec un mépris plein de colère en lui reprochant son ingratitude. Le jeune roi, tout épouvanté de ces interpellations menaçantes, crie au secours. Ses soldats se serrent de nouveau, entourent Kourrâ dans un cercle fatal, et le criblent de blessures ; cependant il combat pendant une heure encore, appelant la mort et la repoussant par instinct. Pour en finir, les gens du roi coupèrent les pieds de son cheval ; il tomba sous le poids de sa double armure de mailles de fer. On courut en masse sur le cavalier renversé, on le frappa à la tête, on l’assomma. Ainsi mourut cet homme extraordinaire, qui avait deux fois donné le trône à des sultans de son choix ; après s’être deux fois sacrifié aux volontés de ses maîtres, il eut horreur de l’ingratitude d’un enfant couronné par ses propres mains, et mourut rebelle.

Tandis que Mohammed-Fadl, affermi sur le trône, jouissait au dehors d’une autorité incontestée, trois de ses frères, encore fort jeunes, croissaient dans le harem. Le sultan protégea leur enfance ; puis, craignant que ses propres fils ne trouvassent un jour dans leurs oncles des concurrens redoutables, il eut recours à l’assassinat : il commença