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promis au jeune prince de le placer sur le trône avec une nombreuse armée. — Ce que je t’ai promis, lui répondit-il, je le ferai. Trouve-toi au Kaire à mon retour. — Abou-Madian vint en Égypte ; il visita le Kaire et Alexandrie, admira les arsenaux et les forteresses, et contempla avec un éblouissement naïf la mer et les vaisseaux à trois ponts, mais sa patience devait être mise à une longue épreuve. Au mois de janvier 1843, comme il entrait au palais, le pacha lui dit en le voyant paraître : — Prépare-toi à partir, l’expédition du Dârfour s’apprête. — Des marchands arrivés de ce pays avaient apporté la nouvelle que Mohammed-Fadl était mort ; son fils Hussein lui succédait. Cet évènement ayant rendu les chances d’une invasion moins hasardeuses, le prince exilé brûlait d’envie de rentrer dans ses états, et le vieux pacha jugeait les circonstances assez favorables à ses desseins particuliers.

Dès-lors Abou-Madian pressa Méhémet-Ali de remplir ses promesses. Il avait été question d’une armée de douze mille Égyptiens, soutenue de dix pièces de canon ; on donna au prince dârforien 6,000 francs en argent, cinq tentes, deux bateaux pour remonter le Nil, cinq paires de pistolets et un nombre égal de sabres et de fusils. À ces secours précaires on joignit une lettre pour le gouverneur du Sennâr, qui resta définitivement chargé de l’expédition. On en attend encore les résultats ; jusqu’à nouvel ordre, les relations entre les deux pays se trouvent suspendues. De l’aveu d’Abou-Madian, le sultan de Dârfour peut mettre sur pied cinquante mille hommes, cavaliers armés de lances, vêtus, eux et leurs chevaux, de couvertures de coton piquées, fantassins combattant avec le sabre et les flèches. À ces hordes barbares et indisciplinées, le gouverneur du Sennâr n’aura à opposer que six à sept mille soldats, mais supérieurs à l’ennemi par la nature de leurs armes, par l’habileté de leurs chefs et par la manière dont ils sont enrégimentés.

Tel est le récit sommaire des évènemens dont le Dârfour a été le théâtre depuis le temps où le Kordofâl devint un état à part jusqu’à nos jours. Il est probable que les choses se passent de même dans toute l’étendue du Soudan. A la mort d’un prince, ses fils se disputent le trône, se poursuivent par le fer ou le poison, s’attaquent en bataille rangée, et le sang coule dans les provinces. Beaucoup de crimes et quelques beaux exemples de dévouement composent à peu près toutes les annales des empires de l’Orient, anciens ou modernes. Si Abou-Madian est placé sur le trône par les troupes égyptiennes, il y a lieu d’espérer que ce séjour de dix années au milieu d’un pays comparativement avancé en civilisation laissera des