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traces dans son esprit. En Égypte, il a vu des Européens, il a appris à les connaître, à apprécier ce qu’ils savent faire, par conséquent à moins se défier d’eux. Cependant ce ne sont là que des conjectures ; les princes d’Orient aiment quelquefois à tirer parti de ce que leur enseigne l’Europe, mais rarement ils le font dans l’intérêt du pays. Pour réformer un état, il faudrait qu’ils commençassent par eux-mêmes ; là gît toute la difficulté. Au Dârfour, comme dans les états voisins, le souverain possède l’autorité la plus absolue, la plus despotique ; là il n’y a guère d’autres lois que le caprice du maître et un vague courant de traditions dont le sens se perd et s’efface. Autour du sultan, inviolable dans sa personne, se déroule une longue série de hauts fonctionnaires, qui, n’étant pas payés de sa main, vivent aux dépens du peuple. A lui revient la dîme de tous les biens, et les provinces sont divisées en lots qui représentent autant de propriétés affectées à chacun de ces grands dignitaires. Le père cheikh, presque égal en puissance au monarque, possède en propre, outre des fiefs nombreux, une vaste province ; comme son maître, il a le droit de vie et de mort dans toute l’étendue du royaume. Après lui viennent les chefs dont les dénominations se rapportent à quelque partie du corps de sa hautesse, l’orondalon et l’aba-oman, la tête et les vertèbres du dos du sultan, qui commandent le premier et le dernier corps d’armée ; le kanméh, dont le nom signifie cou du sultan, plus élevé en dignité que les deux précédens, et qui jouit, par compensation, du droit d’être étranglé quand le prince meurt à la guerre : le sultan a aussi son bras droit et son bras gauche. Derrière cette pléiade choisie s’agite une foule d’officiers civils et militaires, ayant le titre d’emyn et de rois, depuis les quatre membres du conseil, qui assistent le maître dans ses délibérations, jusqu’aux fous chargés de dérider son auguste face par leurs gambades et leurs plaisanteries. Ces fous, auxquels leur position donne de certaines prérogatives, ont à remplir, dans les intervalles de leur service habituel, un rôle par trop sérieux, celui d’exécuteurs. Quelle atroce ironie de faire étrangler ou poignarder les gens par ces pauvres bouffons, coiffés de la tiare pointue, portant pour insigne de leur royauté le sceptre à grelots !

Les hauts fonctionnaires, si grands et si puissans dans leurs provinces et dans leurs emplois, nu sont autour du trône que des courtisans humiliés. Ils doivent, par étiquette, tousser et éternuer, ou au moins faire semblant, quand le sultan tousse ou éternue, se jeter à bas de cheval, s’il tombe lui-même ou si seulement sa monture fait un faux pas, et cela sous peine du bâton. Comme la plupart des potentats