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Enrique, fils de l’infant don François de Paule, a cru devoir jeter dans la polémique une déclaration où il pose ouvertement ses prétentions à la main de la reine. L’effet de ce manifeste a été fâcheux pour le jeune prince même ; on y a vu ou un enfantillage ou une ambitieuse folie, et, sauf le parti progressiste, qui, par une inconséquence singulière, applaudit à tout ce qui semble une violence faite aux pouvoirs publics, il n’est personne qui n’ait approuvé le gouvernement d’avoir prescrit à l’infant d’aller prendre le commandement de son navire ; mais ce fait, qui est aujourd’hui blâmé par tous les hommes sages, n’en subsiste pas moins comme un dangereux élément de trouble dans des circonstances données. Il n’est pas de pays où on oublie plus aisément une faute qu’en Espagne. C’est au gouvernement qu’il appartient de faire par sa prudence que la faute de l’infant don Enrique reste bien une faute, et garde le caractère d’un appel inconséquent et inutile aux passions du dehors.

Depuis il s’est produit un fait, à notre avis, beaucoup plus grave encore, plus propre à éclairer le ministère espagnol, et qui prouve que les répugnances déclarées contre le comte de Trapani ne sont pas simplement un moyen d’opposition. Instruit que la question du mariage de la reine était à la délibération du conseil des ministres, qui tous ne paraissaient pas d’accord, un grand nombre de députés de la majorité elle-même, — cinquante ou soixante environ, — se sont réunis et ont signé un message pour demander au gouvernement de ne se point engager dans une voie où l’opinion publique se refuse à le suivre. Maintenant le cabinet persistera-t-il dans ses projets ou cédera-t-il à ces sollicitations amicales ? C’est là ce qu’on ne peut dire. Il est très vrai que les ministres ont quelque droit de se plaindre de ce témoignage mal déguisé de défiance de la part d’hommes dont les opinions ne sont pas douteuses, et dont la sympathie leur est acquise ; mais ne doivent-ils pas y voir aussi la preuve de l’irrésistible puissance de l’opinion publique ? Et, s’il y a quelque irrégularité dans cette intervention d’un certain nombre de députés venant demander au gouvernement des garanties sur une question qui n’est pas soumise au congrès, la cause n’en est-elle pas dans une faute qui a été commise l’an dernier, lorsqu’on a supprimé l’article de la constitution qui prescrivait de soumettre aux cortès le mariage de la reine ? Quoi qu’on fasse, il est difficile de soustraire une affaire aussi importante aux délibérations des chambres sous un régime constitutionnel.

Comme on le voit, c’est là une situation sérieuse et délicate, une situation d’où dépend peut-être l’avenir de la Péninsule. Le gouvernement de Madrid, assure-t-on, a promis à ses amis des explications satisfaisantes. Nous souhaitons vivement qu’il les donne ; nous le souhaitons pour l’Espagne, et aussi pour la France, dont l’influence est en jeu dans ces complications hasardeuses.