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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/58

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encore barbares ; remarquons aussi qu’il a été en usage presque partout, car l’Inde en a conservé la tradition.

Les peuples de l’intérieur de l’Afrique, inférieurs sous tant de rapports à ceux des rives du Nil, n’ont point appris de ces excellens maîtres l’art de bâtir. Les palais du souverain, au Dârfour comme à Tombouctou, à l’ouest du Soudan, consistent en un véritable village de huttes arrondies au sommet et disposées dans un ordre invariable. Ce village, qu’on nomme fâcher, entouré d’une palissade grossière, se transporte, au gré du sultan, là où il lui convient de résider ; ce prince n’a donc point de capitale proprement dite ; de là l’embarras des géographes pour fixer sur les cartes ce qu’ils regardaient comme le chef-lieu du royaume. Au temps de Browne, le fâcher était à Kôbeyh ; le cheikh Mohammed le vit, pendant son séjour, établi à Tendelty, plus au sud. Quand le prince est en voyage ou à la guerre, toute sa cour marche avec lui, et les habitations temporaires des grands doivent reproduire exactement le plan du fâcher. Par là on évite la confusion ; les ordres sont donnés plus rapidement, et le maître apparaît en tout lieu avec le cortége qui fait sa puissance ; c’est un soleil qui ne se dépouille jamais de ses crayons. En public, il affecte de se voiler la face, pour ne pas éblouir ses sujets ; jamais il ne parle à personne autrement que par l’intermédiaire de plusieurs interprètes. Les jours de grand divan, il s’assied, au milieu d’une estrade décorée de pièces de soie toutes chamarrées d’or, sur un tabouret d’ébène recouvert d’un coussin ; à ses côtés se placent les ulémas, les fakyh, les chérifs, et devant lui deux vizirs se tiennent debout. C’est le propre des souverains noirs d’aimer les vaines parades, les démonstrations extravagantes, le bruit, le luxe, en un mot tout ce qui frappe les sens. L’Européen qui paraîtrait devant cette cour à demi sauvage serait prêt à rire sans doute ; mais cette première impression ferait bientôt place à un mouvement de terreur : là, comme dans les drames de Shakspeare, le burlesque et le tragique se rencontrent à chaque pas.

Si, des hauteurs de cette sphère élevée où trône le sultan, nous descendons dans les détails de la vie domestique, il apparaîtra clairement que l’islamisme n’a point eu sur les mœurs du peuple une influence bien salutaire ; là, le vice se montre à nu, sans le prestige du pouvoir et de la grandeur. À ces populations sauvages et dépravées, le Coran a enseigné un fanatisme parfois féroce qui n’était