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rois). Les tombeaux sont au nombre de vingt-sept, et occupent, sur trois rangs, toute une muraille du Panthéon. Quelques-uns renferment divers personnages, désignés tantôt nominalement, tantôt par l’oublieuse formule : ET ALII UAM PLURES, écrite sous le nom et sous l’écusson du mort principal. L’architecte du Panthéon est d’autant moins excusable dans sa recherche du joli, qu’il aurait pu s’inspirer des sombres magnificences des caveaux de l’Escorial ; il faut reconnaître cependant que sa donnée, toute fausse qu’elle est, a été exécutée avec une finesse exquise. Le marbre rosé des colonnes demi-saillantes qui règnent le long des murs s’harmonise avec le marbre vert des socles et le marbre blanc des chapiteaux. La profusion des dorures laisse tomber sur cet ensemble comme un reflet indécis qui émousse la crudité des teintes. Tout contraste, et rien ne choque. Sur la muraille opposée aux tombeaux sont sculptés trois cadres en relief, dont l’un représente le serment des rois d’Aragon ; les deux autres, un seul et même sujet traité de deux manières, et que la légende rapporte tantôt à Garci Ximénès, tantôt à Iñigo Arista. Des deux parts, c’est un champ de bataille au-dessus duquel plane la croix miraculeuse de Sobrarbe. À la vue du signe redouté, les Maures fuient en désordre, et les turbans avec les têtes volent sous le cimeterre des chrétiens. Au fond, vis-à-vis de la porte, est un autel surmonté de trois suaves sculptures d’albâtre ou de marbre blanc, car, dans le demi-jour, on peut s’y méprendre ; c’est un Christ de Carlos Salas entre une Vierge et un saint Jean très finement drapés.

Nous rejoignîmes la chaussée, Esteban et moi, et de là nous eûmes bientôt atteint le plateau supérieur, dont le plan, légèrement incliné vers le midi, ne peut être soupçonné derrière la crête anguleuse qui le borne au nord, du côté de Jaca. Le nouveau monastère est au centre d’une immense pelouse, d’où ses bâtisses blanches, encore grandies par la raréfaction de l’air, se détachent avec une certaine ampleur monumentale. Mon ami le bénédictin ne m’avait pas trompé : c’est une caserne, une superbe caserne, mais voilà tout. Un beau réfectoire, de larges corridors, des cellules savamment prémunies contre le chaud et le froid, et où l’on n’a pas épargné l’espace, ce comfortable de la vie cloîtrée ; une vaste chapelle sans caractère architectural bien prononcé, mais dont la nudité ne manque pas de quelque grandeur, voilà tout ce qu’on peut citer du nouveau couvent de Saint-Jean de la Peña. Ce couvent n’est lui-même qu’une reconstruction datant à peine de 1816. L’ancien édifice, qui fut détruit pendant la guerre de l’indépendance, et qu’on avait mis quarante ans à bâtir, passait pour un des meilleurs morceaux de l’architecture du XVIIe siècle. Ce qu’on ne se lasse pas d’admirer, c’est l’aspect tout à la fois vaste et recueilli du paysage environnant. Pas un bruit, pas une ombre, pas une image lointaine d’en bas n’en troublent l’immobile sérénité. Au nord et au couchant, une vaste ceinture de pins voile l’amphithéâtre des Pyrénées. Au levant et au sud, le plateau perd ses vagues cons tours dans les profondeurs du ciel, et reproduit à l’œil l’horizon infini de la