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et résolu n’aura pas fait passer dans notre langue un des grands ouvrages de Hegel, l’Encyclopédie des sciences philosophiques par exemple, les plus exactes analyses seront encore insuffisantes.

Rien ne paraît au premier abord plus extraordinaire, tranchons le mot, plus absurde que le système de Hegel. Non-seulement il pousse plus loin que ne l’avait fait Schelling et jusqu’à sa dernière limite le principe déjà fort équivoque de l’identité absolue de la pensée et de l’être ; mais, par une suite de cet excès même, il introduit une loi qui est le renversement de toutes les idées reçues : c’est à savoir que les contradictoires sont identiques, par exemple que l’être est identique au néant, le fini à l’infini, la vie à la mort, la lumière aux ténèbres. La philosophie consiste, pour Hegel, à trouver en tout l’unité sous la contradiction, l’identité sous la différence.

On se sent disposé tout d’abord, à l’égard d’une telle entreprise, à la défiance et presque au dédain. Il est certain toutefois, à part la valeur même de la doctrine de Hegel, qu’elle est une suite nécessaire de ce qui précède, le terme fatal où la philosophie kantienne devait aboutir. Supposez que Kant, en 1820, fût sorti de son tombeau ; nul doute qu’en voyant ce que la philosophie était devenue entre les mains de Hegel, il ne se fût écrié, comme Malebranche en lisant Spinoza, que c’était une épouvantable chimère. Et cependant ces deux principes si étranges et si dangereux, l’identité des contradictoires, l’identité de la pensée et de l’être, sont déjà dans le système de Kant. N’est-ce point Kant, en effet, qui dans sa dialectique a donné l’exemple déplorable d’opposer les idées l’une à l’autre, et de prouver que les thèses contradictoires sont également vraies ? La logique de Hegel, sous ce point de vue, n’est-elle pas le développement des antinomies ? Mais ce qui est plus évident encore et d’une plus grande conséquence, c’est que Kant a préparé l’identification absolue de la pensée et de l’être.

C’est une étude infiniment curieuse à se proposer que l’histoire de ce principe dont l’Allemagne est si fière, et où elle fait consister son principal titre d’honneur. On le voit naître avec Kant, se développer dans Fichte, se transformer dans Schelling, et arriver enfin dans le système de Hegel à son plein développement. Suivant Kant, ce que nous appelons les lois de la nature, ce sont en réalité les formes de notre intelligence que nous appliquons aux phénomènes. La grande erreur des philosophes, c’est de détacher ces lois de leur véritable principe, savoir l’esprit humain, le sujet, pour les transporter dans les choses, pour les objectiver. Kant aimait, comme on sait, à rendre sensible l’idée de sa réforme philosophique, en la rapprochant de celle que son compatriote