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intelligente et volontaire de l’instinct et de la raison, c’est la vertu, mère du bonheur. On s’imagine que le bonheur et la vertu sont deux choses différentes : philosophie étroite, philosophie de l’entendement ! La raison identifie ce que le cœur de l’honnête homme ne sépare jamais, le bien-faire et le bien-être, l’action vertueuse et la félicité.

Ainsi, partout à la surface la contradiction, la différence ; partout au fond l’harmonie et l’identité. Quoi de plus opposé, à ce qu’il semble, que la philosophie et la religion ? quoi de plus divers que les cultes ? quoi de plus contraire que les systèmes philosophiques ? En réalité, toutes ces institutions religieuses dont la variété nous confond, dont l’opposition nous étonne, ne sont que les membres d’un même corps, les momens d’une même idée. Cette idée, qui se développe sous le voile du symbole dans la suite harmonique des religions, est la même qui, sous des formes plus claires, déploie dans le mouvement régulier des systèmes philosophiques sa nature toujours diverse et toujours identique. Les lois de la logique, partout présentes, parce qu’elles sont le fond de tout, déterminent et gouvernent souverainement cette double évolution.

Il y a trois grandes religions : la religion orientale, la religion grecque et la religion chrétienne, lesquelles correspondent aux trois momens nécessaires de l’idée logique. La religion orientale, c’est l’idée de Dieu à son premier moment, celui qui comprend tous les autres dans leur unité confuse. L’homme adore Dieu, mais sans le connaître et sans se connaître soi-même. Univers, homme, Dieu, tout cela ne forme encore qu’un tout indécis, la nature. La religion grecque, c’est l’idée de Dieu au moment de la diremtion, de la contradiction. Dieu se divise pour ainsi dire, s’ébranche en mille rameaux, s’oppose à l’homme et à lui-même ; l’infini se perd et se dissout dans le fini. La religion chrétienne est par essence la religion de la réconciliation. Fille de l’Orient et de la Grèce, elle les reproduit et les identifie. Dieu, qui s’ignorait dans les obscurs symboles de l’Inde, qui était en quelque sorte hors de soi dans la prodigieuse variété des divinités contraires de la Grèce et de Rome, revient à soi dans le christianisme pour prendre conscience claire et pleine possession de soi. Aussi, le christianisme est-il la seule religion complète, la seule vraie, la seule évidente par elle-même : c’est Dieu se sachant et s’affirmant Dieu.

Ce qu’on appelle les mystères de la religion chrétienne, ce sont les lois absolues des choses, obscures pour les sens, absurdes et contradictoires pour l’entendement, claires et harmonieuses pour la raison. Le premier de ces mystères, n’est-ce point celui de la sainte Trinité ?