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Or, la sainte Trinité, c’est sous une forme auguste le principe même de la logique. Le Père, c’est l’idée en soi ; le Fils, c’est l’idée hors de soi, dans sa manifestation visible, sous la double forme de la nature et de l’humanité. L’Esprit, c’est l’idée en soi et pour soi, parvenue au terme de son mouvement, se reconnaissant identique dans tous les degrés qu’elle a parcourus. Au sein même du Père se retrouvent les trois momens de l’idée, mais sous une forme encore tout idéale l’Être ou la Puissance, objet de la pensée ; le Verbe ou l’Intelligence, ou encore la Pensée, engendrée par l’Être ; l’Amour enfin, qui procède de tous deux et qui les unit. Cette Trinité, tout idéale, se réalise par la création, royaume du Fils ; mais, pour rattacher la création à son principe, il faut que le fini se sache infini, que l’homme se connaisse Dieu : c’est le royaume de l’Esprit.

Il appartient éminemment à la philosophie de réaliser sur la terre le royaume de l’Esprit. C’est elle en effet qui, en rattachant les symboles du christianisme aux lois de la pensée, démontre et explique ce que la religion ne faisait qu’affirmer, l’union intime de l’homme et de Dieu. La première forme de cette union se trouve dans la communauté chrétienne de l’église au berceau ; la seconde, ç’a été l’église organisée ; la dernière sera l’état où toutes les croyances religieuses sont appelées à s’allier bientôt sous la loi de la raison et de la liberté.


II.

Ce n’est point en quelques pages que l’on peut apprécier les résultats d’un mouvement philosophique aussi vaste, aussi varié que celui que nous venons le décrire ; ce qui précède n’est point une histoire de la philosophe allemande, ce qui suit n’en sera pas une critique. Mais, de même que nous espérons en avoir dit assez pour piquer et déjà pour satisfaire un peu la curiosité, nous voudrions, dans les simples réflexions qui vont suivre, exciter quelque défiance et prévenir l’engouement.

Si je ne me trompe, la philosophie allemande est depuis un demi-siècle sous l’empire et comme sous le charme d’une illusion, et c’est là ce qui m’explique le vice fondamental de sa méthode, les étonnantes révolutions et les aberrations singulières de ses systèmes. Cette illusion, c’est de croire que la science absolue est possible pour l’esprit humain. La science absolue, je veux dire l’explication absolue et universelle des choses, voilà la chimère que poursuit depuis Fichte la