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confrères ; donc c’est un hypocrite. La folle conclusion ! Ce qui est vrai, c’est que, dans les plus difficiles conjonctures, le fermier et le rustre, le gentilhomme de campagne, reparaissent tout à coup ; de temps à autre il respire et s’ébat.

On ne doit pas oublier des faits fondamentaux : le Nord avait le protestantisme pour arme, et Cromwell était protestant par excellence. Le protestantisme calviniste servait de pointe extrême à cette arme ; Cromwell était le plus calviniste des calvinistes. Représentant le Nord armé contre Rome, il se trouvait le centre de la moitié de l’Europe. Lorsqu’il avait vigoureusement battu son enclume, il riait lourdement, comme un forgeron qui se repose. Cette explication est beaucoup plus simple que l’aspect bizarre et mêlé sous lequel Cromwell se présente communément ; mais de ce que le point de vue est simple, on ne doit pas conclure qu’il est faux.

Cromwell ne tendit pas au trône ; où les évènemens le portèrent, il se porta, car il avait force et ressort. Il monta du côté où le vent soufflait. Quand le moment vint où les armes devaient décider la question, il fallut un guerrier calviniste ; Cromwell fut guerrier pour le calvinisme, calviniste dans la guerre et pour la guerre. Il eut une idée de génie ; il organisa par le fanatisme des gens irréguliers et indisciplinés, et les lança contre la vieille chevalerie, qui avait son organisation et sa discipline. Cette idée fit sa fortune.

En 1641, les épées qui sont tirées ne se heurtent pas encore. Cromwell passe peu de temps à Ely, où il laisse sa femme, et prend une part assidue aux débats du parlement. Il est des plus zélés puritains, offre son argent, ne fait pas de longs discours, et, personnage tout pratique, propose des solutions aux questions urgentes ; entre février et juillet 1642, il se lève de temps à autre à la chambre, pour presser, activer, donner des moyens de succès ; toujours des succès, jamais des paroles. Pendant ces années 1641, 42, 43, Charles désespéré fait ses grandes fautes, livre la tête de Strafford, veut prendre et saisir de sa main les conspirateurs, et arbore l’étendard à Nottingham par une journée triste et humide, cet étendard qui fut abattu par le vent. Pauvre Charles ! En vérité, Thomas Carlyle n’a pas assez de pitié pour le rêveur calomnié. Que pouvait faire un tel roi ? D’Israëli et Lingard prouvent très bien qu’il avait du cœur et de l’esprit, qu’il n’était pas mené par sa femme, qu’il n’était point perfide ; — seulement, comme tous les pauvres êtres pressés d’un sort extrême, il n’a pas su prendre son parti, et se précipiter dans sa destinée. C’est le saut mortel, il salto mortale, et l’on se rappelle le soldat à qui Montluc disait de se jeter