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des hallebardes, des épées, des rapières et des tourne-broches. Tantôt ils font halte pour prêcher, tantôt ils chantent des psaumes en faisant l’exercice. On entend souvent les capitaines crier : En joue ! feu ! au nom du Seigneur !… Il y a des sergens qui ne font jamais l’appel de leurs hommes qu’en récitant le premier chapitre de saint Luc ou le premier livre de la Genèse : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre… Au, c’est le premier homme ; commencement, c’est le second ; et ainsi de suite. Chaque roulement de tambour portait aussi un nom biblique. — Faites battre, disait un capitaine, le rappel de saint Matthieu ou la générale de l’Apocalypse. » - Les drapeaux puritains correspondaient, par le choix extravagant de leurs exergues, à la singularité de ces détails : la plupart étaient chargés de peintures symboliques et de citations de la Bible. Un soir, auprès d’York, une troupe de cavaliers chantait, en suivant sa marche, des couplets satiriques. Un corps de puritains passait à peu de distance, chantant sur le même air les psaumes de David. Les deux troupes en vinrent aux mains, toujours chantant, et se battirent avec tant de fureur, qu’il n’y eut que des morts et pas de blessés[1]. »

L’instigateur de ces folies fut Cromwell. Il continua l’œuvre de Pym en transportant sur le champ de bataille l’émotion politique et la fièvre religieuse. Lui-même partageait cet enthousiasme, et semblait contempler avec une gaieté sauvage l’exaltation universelle ; comme Pym, il se gardait bien de la décourager. Plusieurs traités de discipline militaire, destinés à faire marcher de front l’austérité religieuse et les vertus guerrières, furent publiés alors avec l’autorisation et par l’instigation de Cromwell, et paraissent fort étranges. L’un a pour titre le Catéchisme du soldat, par Robert Ram ; l’autre, le Havresac chrétien pour les soldats du parlement. Rien n’est plus singulier dans ce genre que le petit livre composé par un nommé Lazare Howard, capitaine, et dont le but est de faire servir chacun des mouvemens du soldat à son amélioration spirituelle ; il est intitulé : Exercices militaires et spirituels pour les fantassins, « avec les instructions à donner pour arriver au paradis en douze temps, l’arme au bras. » Ce livre, qu’on prendrait volontiers pour une plaisanterie, est sérieux. — Il faudrait, dit-il, faire profiter à l’ame chaque mouvement du corps, et, par un double mouvement simultané, faire de nous à la fois des soldats terrestres et des soldats célestes. — Or, voici ce qu’il propose : chaque commandement prononcé, « demi-tour

  1. Charles Ier, sa cour et son parlement, livre III, ch. 4.