Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 13.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adhérens ou libres. Trompés par ces apparences, les naturalistes perdront la trace de leur origine et les isoleront des champignons et des acalèphes ; mais que les conditions changent, et le mycelium, renonçant à son rôle de mucédinée, produira un agaric, le polypier engendrera une méduse. Or, si le champignon n’est en réalité que l’organe floral du mycelium, nous serons pleinement autorisé à adopter l’opinion émise par M. Dujardin, à voir dans la méduse la fleur animale du polypier.

Rien ne serait plus facile que de multiplier ces exemples et de prouver de plus en plus que, dans les divers procédés mis en œuvre dans les deux règnes pour assurer la durée des espèces, la nature se copie en quelque sorte elle-même. Avec tous les zoologistes qui ont étudié les polypes, nous citerions ces animaux qui se reproduisent, à la manière des plantes, par bourgeons, par bulbilles, par boutures. Avec MM. Adolphe Brongniart, Decaisne, Thuret et quelques autres botanistes, nous montrerions en revanche les granulations de certains pollens empruntant un des caractères les plus essentiels de l’animalité et se mouvant à la manière des infusoires ; nous mettrions sous les yeux de nos lecteurs ces spores des algues d’eau douce, véritables larves végétales, qui, avant de se fixer, parcourent librement en tout sens, à l’aide de cils vibratiles, le vase où on les observe, et qui semblent réaliser la métamorphose d’un animal en végétal. Nous verrions ainsi disparaître un à un tous ces caractères différentiels si tranchés, que le savoir imparfait de nos pères assignait aux deux règnes ; tous, disons-nous, jusqu’aux caractères empruntés à la chimie, comme l’ont prouvé les curieuses analyses de jeunes tissus exécutées par M. Payen, et les phénomènes si remarquables qui accompagnent la fécondation des arum[1]. À cette uniformité d’action, il est impossible de ne pas reconnaître l’influence d’une cause unique et constante. Dès-lors, la vie, ce je ne sais quoi qui anime l’algue et le chêne, l’infusoire et l’éléphant, se montre à nous comme une force universelle dont la nature intime nous échappe, il est vrai, tout aussi bien que celle des autres agens, mais qui, reconnaissable comme eux à ses effets, reste toujours et partout la même dans son essence, malgré l’infinie variété de ses manifestations.


A. DE QUATREFAGES.

  1. Voyez l’article sur les Tendances modernes de la Chimie, livraison du 1er août 1842 de la Revue des Deux Mondes.