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de consistance que les hérétiques. Enfin même, cette aptitude générale, cette valeur politique, qui leur manquaient à tous, appartiennent-elles du moins encore à l’église dans les pays où l’église se trouve naturellement nationale ? Non, car l’église ne doit plus nulle part agir comme pouvoir public ; elle ne réussit qu’à compromettre sa sainteté en se jetant sur un terrain qui n’est plus prêt pour ses pas ; tout aussitôt ses charités deviennent intrigues ; ses amitiés, coteries ; ses antipathies, factions et guerres civiles. L’église maintenant ne saurait plus être qu’une autorité morale, et son domaine, que le domaine particulier des consciences individuelles. Lorsqu’elle régnait sur la société, elle en organisait tout l’ordre pour le soumettre à une vérité absolue d’où elle avait tiré la loi suprême ; il n’y avait point de place pour la libre pensée dans le monde extérieur des institutions ; la libre pensée se perpétuait dans le monde intérieur des ames. Les rôles sont désormais changés ; rien n’arrête l’action privée de l’église enseignant sa doctrine, mais elle a perdu qualité pour commander au nom du droit public. Le droit public ne relève plus de son principe d’infaillibilité ; la société n’est plus théocratique ; elle admet l’excellence de telle ou telle règle, elle ne prononce pas que cette règle soit le tout de l’humanité, qu’après celle-là trouvée il ne reste plus rien à faire qu’à se croiser les bras dans une muette et perpétuelle observance ; elle ne gouverne point de par une immuable sagesse, recours obligé de toute église qui gouverne. La raison laïque reconnaît qu’elle se trompe et se précautionne contre ses fautes ; la raison ecclésiastique ne doit jamais se tromper. On se lasse pourtant, on s’alarme de cette radicale perfection : si ce n’est le miracle de Dieu, c’est le froid de la mort et la correction de la matière brute. Mieux valent encore les chances, les erreurs même de la liberté ; l’erreur, c’est le mouvement ; errer, c’est vivre ; et voilà comment s’est formé l’état nouveau, comment, à travers bien des angoisses et bien des chutes, il a grandi et marché, gagné peu à peu les esprits, réconcilié les cœurs et préparé toujours ses forces à des épreuves qui recommencent toujours. C’est là sa gloire ; c’est cette activité souveraine perpétuellement appliquée à l’amélioration de lui-même ; c’est cette facile promptitude à recevoir dans son sein des élémens contraires qui l’enrichissent sans le troubler ; il n’exclue rien, il ne supprime rien, il s’approprie tout ; il faut être exclusif quand on est à soi seul la vérité tout entière ; l’état n’est plus que la voie vivante par où l’on y va, la route infinie de l’infinie vérité.

On aurait beaucoup à traduire pour montrer combien cette notion