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cette profonde ignorance qui ne savait pas rattacher un système aux trois momens de la dialectique hégélienne, cette simplicité qui n’usait pas, dans une démonstration chrétienne, de ces curieuses combinaisons de l’être et du néant engendrant le devenir ; ils ont ravalé jusqu’au plus bas tant d’impuissance et de vulgarité. Ils ne se doutent pas que l’Allemagne se bat aujourd’hui par-dessus leurs têtes dans cette arène vulgaire qu’ils dédaignent si fort. Ce qui justement a donné gain de cause aux rongiens, c’est d’avoir plaidé les lieux communs et les argumens populaires ; c’est d’être descendus sur la place publique, d’avoir été des orateurs de carrefour en un pays où la parole parlée, bien plus neuve que la parole écrite, exerce un empire dont on ne peut encore apprécier tous les effets. J’ai vu des hommes pleurer en écoutant le beau dire des pères du concile de Canstatt. Ronge lui-même sait à propos rappeler les victoires de 1813 et les gloires de l’émancipation nationale pour encourager ses auditeurs à rechercher celles de l’émancipation religieuse. Il se sert avec industrie des immortels ressentimens de l’Allemagne contre Rome, et à ce seul nom, prononcé devant la foule, on s’aperçoit qu’il y fermente encore des rancunes séculaires. Il semble que ce soit toujours hier que le vaillant capitaine Fronsberg s’en allait à Rome avec sa chaîne d’or au cou pour en étrangler le pape.

Aussi ai-je rencontré des esprits distingués qui, croyant désormais à la possibilité d’une fusion complète entre les différentes communions établies sur le sol germanique, saluent aujourd’hui dans la propagande rongienne un nouvel espoir d’unité pour l’Allemagne, une nouvelle garantie de grandeur publique. Telle est notamment l’opinion de M. Gervinus, qui l’a publiée dans un petit livre, plein de faits et d’idées, intitulé : La Mission des catholiques allemands. Quelle que soit la gravité d’un témoignage si compétent, je me permets encore de douter de l’avenir et surtout de l’importance d’une semblable révolution. Je ne sais pas s’il est à présent de la plus entière nécessité pour un peuple d’avoir une religion proprement nationale : c’était la condition rigoureuse de toute existence politique aux premiers temps de la cité barbare ; est-ce à dire qu’après trois mille ans passés, cette condition soit indispensable à la cité moderne ? Et quand celle-ci n’a point par origine cette unité de religion qu’on suppose une force, pense-t-on beaucoup gagner à la lui procurer ? A-t-il beaucoup servi d’avoir fait des évangéliques avec les luthériens et les calvinistes ? J’ai vu la société de Gustave-Adolphe siéger à Stuttgart quelques jours avant les rongiens ; ces honnêtes orthodoxes n’avaient pas en eux plus