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La littérature n’était pour lui qu’une occupation fort secondaire, un simple passe-temps dont il était parfois tenté de rougir, quand il songeait à ses ancêtres ; car il sortait d’une maison où l’on n’avait jamais eu de plumes qu’au chapeau.

Les fières allures de ce redoutable personnage forment un assez singulier contraste avec le maintien timide et sentimental de sa discrète sœur. Justement estimée pour son caractère, trop vantée pour ses écrits, elle vécut renfermée dans quelques cercles, sans s’écarter un instant de la réserve qu’elle s’était imposée. Ses romans étaient signés par son frère ; Scudéry s’en déclarait l’auteur, plusieurs le croyaient, et elle les laissait croire. Cette modestie lui profita : malgré ses rodomontades et son fracas, Scudéry fut bientôt oublié. La réputation de sa sœur fut plus éclatante, plus durable même qu’on ne le croit en général. Jusqu’à la fin de sa longue carrière, elle conserva des partisans, des enthousiastes, et jusqu’à des lecteurs, après avoir eu l’honneur d’être rudement attaquée par Molière et par Boileau.

Plus jeune que son frère de six années, Magdeleine de Scudéry naquit au Havre en 1607. Son père, lieutenant de la ville, était de Provence. Si l’on en croit George de Scudéry, leur famille était originaire de Sicile, et leurs ancêtres passèrent en France avec les princes de la maison d’Anjou. Voilà une noblesse suffisamment ancienne, et l’on ne peut s’étonner après cela de voir Mlle de Scudéry peupler tous ses romans de personnes de qualité. Elle avait à l’égard de la naissance, nous dit Tallemant des Réaux, la même vanité que son frère. « Elle disait toujours : Depuis le renversement de notre maison. Vous diriez qu’elle parle du bouleversement de l’empire grec. » Son père mourut, qu’elle était encore fort jeune ; sa mère, bientôt après. Recueillie alors par un oncle qui vivait à la campagne, en Normandie, elle passa chez lui la plus grande partie de sa jeunesse, pendant que son frère courait le monde, promenait sa vanité dans les petites cours de l’Italie, servait dans les armées du roi, et se signalait au Pas-de-Suze par cette belle retraite que M. de Turenne, en se moquant, lui enviait, et pour laquelle il eût donné, disait-il, toutes ses victoires.

Il est probable que la vie monotone que Mlle de Scudéry menait à la campagne ne contribua pas peu à développer ses instincts romanesques. Dès son enfance, elle lisait beaucoup de romans. C’était alors la grande vogue de l'Astrée, et Mlle de Scudéry, pauvre et retirée au fond de la Normandie, avait tout le loisir nécessaire pour nourrir son esprit de sentimens délicats et raffinés, en méditant sur les perfidies de l’inconstant Hylas et sur les respectueuses langueurs du tendre