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Mais c’est surtout par la présence de l’austère Montausier que M. Roederer veut absolument absoudre l’hôtel de Rambouillet ; il s’indigne qu’on en veuille faire un Céladon. On sait pourtant que M. de Montausier aima quatorze ans Julie d’Angennes avec une discrétion et un respect qui ne lui permirent, après plusieurs épreuves, de déclarer son amour et de l’épouser que quand elle eut atteint trente-huit ans. « Ç’a été, dit Tallemant, un mourant d’une constance qui a duré plus de treize ans. » M. Roederer s’irrite à l’idée qu’on veuille jeter du ridicule sur un homme si vertueux, comme si tout cela le rendait moins estimable, et comme si la vertu la plus rigide devait nécessairement préserver de tous ces travers. Quant au mauvais goût de Montausier, rien n’est plus certain. Ses deux familiers étaient Conrart et surtout Chapelain : il professait une grande admiration pour la Pucelle, il allait assidument aux réunions de Mlle de Scudéry, et l’on verra plus tard ce qu’étaient ces réunions. Les autres habitués de l’hôtel ne donnent pas une meilleure idée du goût qui y régnait. C’était d’abord Voiture, qui y passait tout son temps ; or, il suffit de lire ses lettres pour se convaincre que, s’il avait infiniment d’esprit, ce n’était assurément ni du meilleur ni du plus naturel. C’étaient encore (selon M. Roederer lui-même) Scudéry, Conrart, Ménage, Cotin et Chapelain. M. Roederer déclare qu’il s’inquiète peu des épigrammes de Boileau contre ces derniers ; mais il y a une chose beaucoup plus inquiétante que les épigrammes de Boileau : ce sont les ouvrages même de Cotin et de Chapelain. Quand on y jette un coup d’œil, on est obligé de songer à l’estime qu’en faisait alors un certain monde, pour excuser Boileau de s’en être occupé si souvent.

Après cela, que Corneille, qui vivait d’ordinaire à Rouen, ait fait à l’hôtel quelques apparitions, qu’il y ait été admiré, que Mmes de Lafayette et de Sévigné[1] y soient venues souvent dans leur jeunesse, peu importe. Tout est sain aux forts : l’austère génie du poète, la raison exquise et charmante des deux marquises, leur servaient de préservatif

  1. Voyez l’excellente notice de M. Sainte-Beuve sur Mme de Lafayette, livraison du 1er septembre 1836.