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parmi nous, des questions qui lui sont propres, et qui dérivent de ses conditions élémentaires. Les idées et les faits industriels ont des historiens, les ouvriers trouvent des généalogistes qui suivent à travers les siècles le rude chemin que le travail a couvert de ses sueurs.

S’il est une tendance, au milieu de ce mouvement, qui mérite d’être accueillie avec une faveur particulière, c’est celle qui se propose de relever l’état moral et d’améliorer le sort des classes laborieuses ; mais, hélas ! on s’est bien souvent égaré dans la recherche des moyens. Tantôt on a méconnu, dans des plans impraticables, quelques-uns des élémens essentiels de la nature humaine ; tantôt on n’a pas compris la situation relative et le rôle spécial des divers agens de la production. On a contesté des améliorations évidentes, on a exagéré les maux réels, les incertitudes douloureuses qui se mêlent au bien accompli. Le pouvoir social a été amèrement accusé, comme s’il tenait sous sa main un remède infaillible. Toutefois ces erreurs de la critique et de la théorie ne sont pas une raison pour comprimer l’essor, de la pensée qui aspire vers un état de choses meilleur et plus sûr. La disposition des esprits à s’occuper des questions relatives aux classes ouvrières est bonne et suffisamment motivée. Il convient seulement de l’éclairer, de la diriger, d’en prévenir ou d’en redresser les écarts.

Depuis plusieurs années, nous entendons incessamment répéter que pour étouffer dans leur germe les causes de la misère, et ouvrir devant le monde l’ère d’un bonheur inconnu jusqu’à ce jour, il faut organiser le travail. On prétend résumer toutes les autres questions dans celle-là. Des cris partis des camps les plus opposés somment le gouvernement de se mettre à l’œuvre et de donner au travail une satisfaction légitime. Des écrits nombreux, dont les conclusions sont fort diverses, ont été publiés sur ce sujet, qui défraie à lui seul la polémique de plusieurs journaux. Survient-il quelque part une perturbation dans les faits industriels, on l’attribue au défaut d’organisation du travail. Les ouvriers d’un corps d’état exigent-ils une augmentation de salaire, les ateliers sont-ils subitement abandonnés, la tranquillité publique est-elle inquiétée soit par le désordre matériel, soit par des contre-coups funestes, et la liberté des transactions profondément atteinte, c’est toujours faute de cette organisation du travail, qu’on érige en remède infaillible. Avec (’organisation du travail, plus de plaintes, plus de désirs immodérés, plus de ces désordres si fertiles en souffrances, c’est-à-dire d’autres hommes, une autre société. A l’origine, la question s’était annoncée par de simples recherches sur l’état des travailleurs ; plus tard, elle avait produit différens systèmes ; en ce moment, elle traverse une nouvelle phase. On ne se borne plus à discuter, on veut agir, et, avec l’organisation du travail pour mot d’ordre, on cherche à semer l’agitation parmi les classes laborieuses.

Je crois utile d’examiner de près le mouvement auquel nous assistons, de l’interroger sur sa nature, sur ses tendances, sur son avenir. Contient-il des germes féconds ? est-ce un vain bruit et une agitation condamnée d’avance