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à rester stérile ? Cette question de l’organisation du travail est-elle pour notre époque une question aussi grosse, aussi menaçante qu’on se plaît à le redire ? N’a-t-elle pas été dénaturée par des exagérations gratuites ? Je voudrais essayer de dégager le problème de la déclamation et de l’erreur, et, après avoir apprécié ce qu’on propose, indiquer ce qu’on peut faire ; mais, avant tout, il faut s’entendre sur les mots et poser la question en ses termes simples et naturels.


I. — ÉTAT DE LA QUESTION.

L’organisation du travail comprend deux ordres d’idées : le régime disciplinaire auquel sont assujettis les travailleurs, la distribution des produits du travail. Le régime disciplinaire résulte de la loi ou d’institutions particulières consacrées par l’usage ; la distribution des produits peut être également assujettie à des règles arbitraires et positives, l’histoire en offre des exemples dans certains états de société ; elle peut aussi être laissée dans le domaine de la convention libre, et alors elle est dominée par les lois générales de la production que la science moderne a mises en lumière.

Les principes fondamentaux sous l’empire desquels le travail peut être placé ne sont ni très nombreux ni fort compliqués. On peut les ramener à cette alternative, l’asservissement ou la liberté. Au milieu des vicissitudes économiques dont l’histoire nous offre le spectacle, mille variétés, mille différences, mille conditions distinctes se sont manifestées. Toutes se rapportent cependant à l’un des deux régimes : si elles s’écartent de l’un, elles se rapprochent de l’autre. Un pays n’est pas absolument libre de se prononcer entre les deux principes et de faire un choix. L’ordre industriel est soumis à des influences dont les peuples ne s’affranchissent point en un jour ; il se ressent de l’état social, des idées et des habitudes politiques. Les sociétés humaines, pour qui le travail est une nécessité, ont toujours possédé un ensemble de règles ou d’usages qui en ont constitué l’organisation. Moins le travail était libre, plus les règles étaient simples et uniformes. Qu’on cesse donc de nous présenter l’idée même de l’organisation comme une découverte de notre temps. Lorsque le travail était complètement asservi, lorsque le travailleur était esclave, l’autorité du maître tenait lieu de discipline ; avec la propriété de la personne du travailleur, la loi lui adjugeait tous les produits de son industrie. Elle contenait bien cependant quelques dispositions inspirées par une protestation secrète de l’humanité offensée, qui s’écartaient de la rigueur de son principe ; mais les conditions qu’elle imposait au maître étaient souvent inexécutées, et les réserves qu’elle faisait au profit de l’esclave restaient presque toujours illusoires. C’était là un système d’organisation, système détestable, outrageant, immoral, mais très régulier et très prévoyant. Le servage, la corporation privilégiée et exclusive, sont autant de modes qui dérivent, en s’adoucissant, du même principe général.