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à la sécurité des transactions par des concerts soit entre les maîtres, soit entre les ouvriers. Que la coalition des uns et des autres, environnée de certaines circonstances, soit un délit punissable, personne ne peut raisonnablement le contester. L’application d’une peine dépend des faits et des conjonctures ; mais la pénalité légale a-t-elle été répartie avec une impartiale équité ? La loi est beaucoup plus sévère pour les coalitions d’ouvriers que pour celles des maîtres ; le législateur a été visiblement frappé de considérations qui ne sont pas dépourvues de justesse : le danger est plus grand dans un cas que dans l’autre ; les ouvriers sont plus faciles à égarer, à entraîner à des actes violens ; leurs coalitions seraient plus fréquentes et menaceraient davantage la tranquillité publique. De tels motifs justifiaient une gradation proportionnée dans la peine. Cependant la différence admise est trop large, au moins sous deux rapports : la loi punit très durement les moteurs d’une coalition parmi les ouvriers ; elle ne parle point des meneurs qui cherchent quelquefois à aigrir les ressentimens des maîtres, à envenimer des discussions, à provoquer des accords funestes pour l’ouvrier, et contre lesquels la coalition devient presque son seul moyen de résistance. De plus, la surveillance de la haute police, qui peut être prononcée, en certains cas, contre les ouvriers, nous paraît une aggravation trop rigoureuse de la peine. Le code, à notre avis, prodigue trop la surveillance, et les tribunaux sont enclins à la prodiguer encore davantage. Ce serait une bonne mesure de modifier suivant ces idées les articles 414 et 416 du code pénal. Il serait juste aussi de qualifier dans les mêmes termes le délit des maîtres et celui des ouvriers.

L’autorité n’est point appelée par les nécessités de la discipline industrielle à intervenir dans le règlement des conditions même du travail et de sa rémunération ; elle doit s’abstenir d’y interposer son action ; elle y cour promettrait le prestige qui est une partie de sa force ; elle se verrait bientôt entraînée dans un despotisme de tous les instans, funeste à l’individu et à la société. Du domaine de la volonté, de la prévoyance, de l’énergie de chaque homme, le travail passerait dans celui de l’administration. Si éclairée, si bienveillante qu’on la suppose, avec une armée de nouveaux agens ou de conseils électifs, l’administration compliquerait l’œuvre au lieu de la faciliter. Dispensateur officiel du salaire, le gouvernement aurait contre lui le mécontentement des ouvriers intelligens, actifs, laborieux, que son intervention blesserait, et le mécontentement des moins capables et des plus négligens, toujours portés à se plaindre de la règle, à trouver la besogne trop forte et le gain trop faible. Ne convions le pouvoir qu’à des améliorations possibles ; si nous voulons sérieusement relever l’état des ouvriers, travaillons-y avec patience, sans nous bercer du fol espoir d’obtenir tous les résultats en un jour, et sans prétendre, avec quelques théories plus ou moins hasardées, changer, comme par un coup de baguette, une situation qui résulte des habitudes et du temps.

Les défenseurs les plus bruyans des intérêts de la classe laborieuse paraissent