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plutôt qu’il ne leur en fait le partage comme le bien de tous. Ce que Fénelon confesse de la contradiction de son fonds, « qui lui fait trouver faux, dit-il, un moment après, ce qu’il vient de dire, » je l’éprouve même de ce qu’il exprime de plus vrai ; j’ai peur, un moment après, qu’il ne me paraisse faux. Il y a de l’humeur et de la fortune jusque dans ses vues les plus justes, et il semble que la vérité, pour cet esprit supérieur, soit moins cet idéal dont la recherche anime et console la vie qu’un moyen de faire triompher la personne.

Quant aux erreurs, en si grand nombre, où il est tombé, le caractère en est le même que celui des vérités ; elles y paraissent moins de l’humanité que d’un homme. Fénelon se trompe, non par l’imperfection humaine, mais par l’effet de l’emportement de la passion. Où Bossuet cesse de voir la vérité, on sent que c’est notre nature qui fléchit comme sous une recherche au-dessus de ses forces. Fénelon n’est jamais plus triomphant qu’en pleine erreur. Cela est tout simple. Par la même instabilité d’esprit qui lui faisait trouver faux ce qu’il avait dit, il devait trouver invinciblement vrai ce qu’il disait de faux, au moment où il le disait. Je me trouble, je me sens confondu dans ce mélange d’erreurs et de vérités venues d’un fonds où l’on n’en fait pas toujours la différence, et ce manque d’autorité, même aux endroits où le ton de l’autorité domine, me laisse ma triste liberté que j’avais si doucement abandonnée à Bossuet.

Ne sont-ce pas là des traits de ressemblance frappans entre Fénelon et les écrivains du XVIIIe siècle ?

Mais, si ce grand esprit est tombé dans toutes les erreurs attachées au sens propre, il a toute la gloire d’invention et de nouveautés solides que le sens propre pouvait donner de son temps. Dans tous les ordres d’idées où l’on a vu la part du chimérique, il y a la part des réalités, des vérités pratiques et bienfaisantes. L’esprit de discipline avait tout dit dans Bossuet ; il fallait que l’esprit de liberté parlât à son tour, et c’est par la plume de Fénelon qu’il a revendiqué ses droits, non moins légitimes que ceux de l’esprit de discipline. La plus solide de toutes les nouveautés de ce grand homme est d’avoir indiqué au XVIIIe siècle sa véritable tâche : l’application au bien-être de la nation de toutes ces vérités dont le choix et l’expression durable sont la gloire du XVIIe. Jusqu’à Fénelon, le christianisme n’avait mis de prix à la vie des hommes qu’au regard de la religion, et à cause du sacrifice inappréciable dont leur régénération a été achetée. Fénelon fut le premier qui y mit du prix dans l’ordre de la société, et au point de vue des biens et des maux de la vie présente. A la charité chrétienne, il ajouta