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des Stalactites, une certaine habileté à manier le vers ; mais il est surabondamment prouvé, il nous semble, que l’auteur a pris à la lettre cette poétique railleuse de M. de Musset, dont le premier point devait être « qu’il faut déraisonner. » S’il voulait atteindre à cette Babel fantastique dont il parle, il n’a vraiment pas besoin d’aller plus loin, il y est, et l’effort méritoire aujourd’hui serait de s’en éloigner, car la poésie et la confusion des langues ne sont pas précisément une seule et même chose, malgré l’avis contraire de M. de Banville et les exemples qu’il donne à l’appui.

C’est un repos pour l’esprit de trouver après cela un peu de poésie franche, simple, où l’énergie vient souvent s’allier à la grace. Mme Colet, par les Chants des Vaincus, n’a fait que suivre une route qu’elle s’était ouverte avec un certain éclat, guidée par l’exemple de ces poètes aimables si dignes de leur renommée, Mme Tastu et Mme Desbordes-Valmore. Sa pensée s’est affermie après avoir flotté dans ces rêveries intimes qui sont le sujet de ses premiers ouvrages, des Fleurs du midi, de Penserosa, de Mezza-Vita, où il ne faudrait effacer qu’un peu de cette prétention dont le talent devrait toujours se passer ; cette fois, le mâle accent s’échappe de sa lèvre. Chanter les vaincus, c’était à double titre un attrait pour l’auteur ; comme poète et comme femme, elle comprenait mieux les séductions du malheur et pouvait aspirer à le peindre sous des couleurs touchantes. En considérant le sujet en lui-même, quel plus beau livre de poésie pourrait-on imaginer de nos jours que celui où se trouveraient réunies les plaintes de tout ce qui souffre, des grandeurs déchues, des héroïsmes mutilés, des peuples tenus sous le joug et qui se relèvent par momens pour disputer leur vie dans l’extrémité du désespoir ? La Pologne, l’Italie, l’Irlande, les rois montés sur l’échafaud ou mourant dans l’exil, des femmes luttant de courage en face de la mort, voilà ce que la politique livre à la poésie depuis un demi-siècle. Nous ne disons pas que Mme Colet ait fait ce livre ; qui prend assez de temps d’ailleurs aujourd’hui pour le faire complètement ? mais l’auteur des Chants des Vaincus l’a tenté sous plusieurs rapports : elle a rassemblé quelques-unes de ces douleurs éparses qui inspirent la pitié. Elle salue la mélancolique mémoire de ces deux frères Bandiera, braves enfans qu’un même amour de l’Italie unissait encore plus que le sang, qui ont dévoué leur jeunesse à leurs nobles illusions, et que la mort infligée par le bourreau n’a point séparés. Mme Colet a trouvé aussi de vrais élans poétiques dans ses vers sur l’empereur Nicolas auprès de sa fille mourante. C’est la Providence frappant au cœur cet inflexible souverain qui ravit tant de fils à leurs mères. Cette jeune fille expirante et encore belle aux bras de la mort, c’est la pâle figure de la Pologne qui lui apparaît comme un reproche. Les Essais dramatiques sur Charlotte Corday et Madame Roland avaient déjà paru, si nous ne nous trompons ; mais les deux fières et charmantes victimes n’avaient-elles pas naturellement place parmi les vaincus ? Ce qu’on pourrait objecter à Mme Colet, c’est que les Chants ne tiennent pas toujours ce que promet le titre, c’est une certaine inégalité et une faiblesse malheureuse d’auteur pour des fragmens sans importance, de même qu’elle devrait aussi éviter dans sa facilité d’écrire des vers aussi officiels que celui-ci :

Méhémet, fondateur de l’Égypte moderne.


Il y a assez de beaux vers dans les Chants des Vaincus pour montrer que l’auteur