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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/200

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des communes, et ils ne pourraient raisonnablement y conserver tous deux à la fois la place qu’ils y tiennent aujourd’hui comme rivaux.

Toute espérance de coalition entre les whigs et les conservateurs free-traders doit donc être abandonnée. Pour admettre la supposition d’un pareil arrangement, il faudrait faire abstraction des passions, des intérêts privés qui jouent un si grand rôle dans toutes les combinaisons politiques. Il ne reste plus à sir Robert Peel qu’un seul parti, bien pénible assurément, mais inévitable, c’est de faire de nécessité vertu, et de se retirer de l’arène bruyante de la chambre des communes dans les honneurs de la pairie. Sir Robert Peel acceptera-t-il cette alternative, d’ailleurs très flatteuse pour un homme nouveau comme lui ? On le dit, pourtant j’en doute encore. Quand on a, pendant si long-temps, joué le premier rôle, il est difficile de se résigner à une condition comparativement obscure et secondaire. Tentera-t-il de tenir la campagne et de réunir autour de lui un parti mixte flottant entre les whigs et les protectionistes ? Cela pourrait arriver. Il est impossible de décider quelle sera sa conduite, car il l’ignore sans doute encore lui-même. Quoi qu’il fasse, son arrêt est prononcé. Son rôle est fini pour bien long-temps, sinon pour toujours.

Ne vous sentez-vous pas ému, monsieur, de cette ruine ? Quant à moi, qui ne crois pas que l’on puisse être trop sévère envers ce ministre, je ne peux m’empêcher de déplorer une aussi triste fin. Quelle leçon pour les ambitieux ! Mais sir Robert Peel n’a-t-il pas mérité un pareil châtiment ? n’est-il pas d’un bon exemple pour la morale publique que de telles chutes avertissent les hommes qu’il ne se peut rien fonder de solide sur le sable mouvant de l’intérêt privé ?

Quand on considère le caractère, l’esprit, la conduite passée de sir Robert Peel, il n’y a rien qui doive surprendre dans ce qui lui arrive aujourd’hui. On chercherait vainement en lui des vues élevées, des principes fermes et constans. Toute sa vie, il a servilement marché sur les traces d’autrui. Il a opéré, il est vrai, d’importantes, d’utiles réformes, mais il n’en a pas eu l’initiative. En matière de finances, d’économie politique, de législation criminelle, a-t-il fait autre chose que d’appliquer les vues émises par Horner, par Huskisson, par sir Samuel Romilly ? Sans les propositions de lord John Russell en 1841, eût-il eu la pensée de ses réformes commerciales ? et, s’il n’eût été menacé d’être devancé par les whigs sur le rappel des corn-laws, eût-il soulevé cette question ? Non, assurément, et par cela même on serait fondé, jusqu’à un certain point, à refuser à sir Robert Peel le titre d’homme d’état. En effet, dans tous les temps, on a réservé ce nom aux ministres qui, représentant une grande idée, se sont appliqués à la développer, à la faire passer dans les lois. Voilà ce qui constitue le véritable homme d’état. Or, peut-on considérer comme tel un ministre qui, dans toute sa vie, n’a pas eu l’initiative d’une mesure importante, dont l’unique