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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/199

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savante qui assure la vie aux productions de la parole. Vous y trouverez peu de maximes générales d’une application constante, et jamais de ces élans passionnés tels que les inspire l’enthousiasme calculé. Le langage en est simple, un peu nu, dénué d’ornemens littéraires. Néanmoins, même dans les répliques les plus promptes, les moins préparées, le style est vif, pur, bien coupé. C’est dans la disposition des matières, l’arrangement des argumens, que l’on reconnaît l’artiste consommé ; si, en étudiant ses discours à loisir, on y trouve bien des détails à reprendre, on y sent aussi un travail extrême que dissimule à peine la négligence de la forme. Après tout, il est impossible de ne pas reconnaître, dans toutes les paroles de lord Palmerston, un esprit très cultivé, discipliné, mûri par une longue expérience des affaires et des luttes oratoires. A en juger par certains passages de ses discours, il est évident qu’il n’eût tenu qu’à lui de prendre place parmi les premiers orateurs de son pays. Plusieurs de ses discours, réellement très beaux, resteront ; malheureusement le nombre en est petit, et on le regrette en les lisant.

Comment avec toutes ces qualités lord Palmerston ne serait-il pas très compté dans un parti ? Vous conclurez avec moi, monsieur, que lord John Russell serait le plus insensé des hommes, s’il sacrifiait un aussi précieux lieutenant et ami aux clameurs d’une opinion égarée et au mécontentement de votre gouvernement. L’influence de lord Palmerston dans la société est au moins aussi considérable que l’influence qu’il exerce sur la chambre des communes. Homme du monde, élégant, aimant les plaisirs, charmant en un mot comme l’étaient autrefois vos gentilshommes, ses succès de société ne peuvent être comparés qu’à ses triomphes oratoires, et ces avantages ne sont nullement à dédaigner dans un ministre des affaires étrangères, chez qui la souplesse et la subtilité d’esprit sont aussi nécessaires que la force et l’étendue. M. Guizot, vous ne l’ignorez pas sans doute, en a fait maintes fois la triste expérience, et je doute fort qu’il l’ait oublié. Ce qu’un homme comme M. Guizot peut le moins oublier, ce sont les mécomptes de l’amour-propre.

Ainsi, quand même, à tous autres égards, une coalition serait possible, elle ne le serait qu’avec le sacrifice de lord Palmerston ou de lord Aberdeen, et, par tout ce que je viens de vous dire, vous voyez qu’il ne faut pas y songer. Une difficulté encore plus grave serait la question de la présidence du cabinet. A qui de sir Robert Peel ou de lord John Russell appartiendrait la prééminence ? car dans la pratique du gouvernement anglais les fonctions de premier ministre sont réelles et effectives ; à lui seul revient la conduite de tous les détails de l’administration ; il exerce dans toutes les affaires une suprématie absolue : ses collègues ne sont dans le fait que des subordonnés dociles. En outre, sir Robert Peel et lord John Russell sont tous deux membres de la chambre