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Jadis ce qu’elles fournissaient d’applications était dû à des hasards favorables ; les industries procédaient d’un côté et les sciences de l’autre. Aujourd’hui commence une application systématique et générale de la physique et de la chimie à la pratique. Aussi les découvertes succèdent aux découvertes, la face des choses change pour ainsi dire d’année en année, et déjà ce n’est plus une illusion que d’entrevoir une époque où le globe sera régulièrement exploité comme l’est une métairie particulière. Ce qui se fait avec les sciences physiques se fera avec la science biologique ; une étude générale de la santé permettra de régulariser nos habitudes, nos villes, nos demeures, nos lieux de récréation, nos métiers, de manière à procurer le plus de bien et à écarter le plus de mal ; médecine préventive, meilleure à la fois et plus efficace que la médecine curative.

Ayant examiné le sang dans le premier livre, M. Müller étudie, dans le second, toutes les opérations chimiques qui se font au sein du corps vivant : comment des gaz sont aspirés et exhalés dans l’acte de la respiration ; comment les alimens sont métamorphosés en chyle ; comment le sang veineux et noir se change en sang artériel et rutilant ; comment les particules vont successivement remplacer, soit dans les humeurs, soit dans les organes, celles qui ont été rendues impropres à la vie ; comment les diverses sécrétions s’effectuent ; bref, en général, comment cet actif laboratoire qu’on appelle l’organisme reçoit, emploie et rejette les substances qui l’entretiennent. La nutrition n’est, de fait, qu’un travail de composition et de décomposition, la nutrition, fondement de toute vie, et la seule fonction qui, avec la génération, appartienne aux végétaux, privés qu’ils sont de la faculté de se mouvoir et de sentir. Cette élaboration chimique est la racine des existences organiques ; sans elle, la force qui produit les phénomènes vitaux ne peut avoir aucune manifestation ; sans elle, les facultés supérieures de la sensibilité n’auraient pas de support, et tout commence, aussi bien dans la série vivante que dans l’évolution d’un être individuel, par la cellule douée de la propriété d’absorber, d’exhaler et de modifier les substances alimentaires.

Plus les études biologiques ont fait de progrès, plus on a senti la nécessité d’y employer les connaissances chimiques. La lumineuse classification des sciences établie par M. Comte explique cette tendance instinctive et doit la transformer en une application indispensable. La théorie philosophique montre qu’à vrai dire il n’est point de physiologie sans chimie, et que les diverses sciences qui forment le tout du savoir humain sont, par rapport les unes aux autres, comme autant d’échelons. Un de ces degrés ne peut être sauté sans dommage pour l’intelligence et l’instruction. Il est donc manifeste que l’état actuel devra cesser, état de transition où les chimistes ne sont pas biologistes, où les biologistes ne sont pas chimistes, de sorte qu’en maintes questions