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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/221

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facilement aller. Chassé de son ancien domaine, astrologie, alchimie, magie, l’amour du merveilleux cherche un refuge et, en place de ces fausses sciences, se crée une fausse médecine. C’est la tâche de la physiologie, en se perfectionnant et en se répandant, de remettre les hommes au véritable point de vue, et d’éteindre au sein des populations des préjugés ridicules et dangereux. C’est ainsi que, grace à l’astronomie, les folles terreurs que causaient encore les éclipses de soleil il n’y a pas plus de deux cents ans ont disparu, remplacées, comme l’a dit récemment dans l’Annuaire du Bureau des Longitudes un astronome renommé, par la vive curiosité qu’excite un si grand phénomène.,

Tout, dans le corps vivant, étant réglé, les actions de la santé, les causes de la maladie et les effets du traitement, on comprendra sans peine l’influence exercée par un médecin célèbre qui vient seulement de disparaître de la scène scientifique. Ce que Broussais poursuivit surtout et avec le plus de succès, ce furent les idées vagues de maladies essentielles. Autant qu’il fut en lui, il chassa les qualités occultes de tous les coins où elles s’étaient réfugiées, et il sentit avec netteté qu’il n’y avait dans le corps vivant en action que la matière vivante. En d’autres termes, il maintint que la pathologie n’est qu’une face de la physiologie. Sa célèbre théorie de la gastro-entérite, si complètement ruinée par l’observation subséquente, n’est, à la bien apprécier aujourd’hui, qu’une hypothèse hardie, destinée à représenter provisoirement comment il entendait que les fièvres qualifiées d’essentielles devaient être rapportées à une modification de l’état physiologique. Sans doute, les faits ont montré que la gastro-entérite n’était pas la cause de ces fièvres ; mais ils ont montré aussi qu’elles n’avaient d’essentiel que le nom, et que, si, pour expliquer la santé, on étudie le jeu des humeurs et des organes dans leur intégrité, on doit, pour expliquer la maladie, étudier le jeu de ces mêmes humeurs, de ces mêmes organes, tels que la cause morbifique les a modifiés. On le voit, bien que l’hypothèse soit tombée, le principe qui la suggéra est resté debout, à savoir que la pathologie est encore de la physiologie. Le tort de Broussais fut donc de vouloir appliquer sans retard à la thérapeutique des idées qui, étant très générales, n’avaient pas d’emploi particulier dans le mode du traitement. Son mérite éminent fut d’avoir mis la théorie des maladies dans le droit chemin. Aussi sa renommée, se dépouillant, comme une eau qui chemine, de tout limon, est désormais reconnue et accueillie là même où jadis Broussais, dans tout le fracas de sa polémique, avait été repoussé.

La médecine n’est pas bornée au traitement des individus, elle a aussi une fonction publique dont certainement nous ne possédons qu’une ébauche ; mais il viendra un temps où ce qui n’est qu’en germe se développera, comme il est arrivé pour les sciences physiques et chimiques.