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beaucoup de questions, et qui même ne craignait pas d’anticiper sur l’avenir. Dans une note de sa brochure, M. de Cormenin émettait, le premier peut-être, l’idée qu’une indemnité était due par l’état aux émigrés, aux anciens propriétaires des biens confisqués. Cependant, rapporteur assidu des affaires du contentieux administratif, il comprenait de plus en plus le rôle et l’importance d’une jurisprudence souvent appelée à suppléer la législation même. N’était-il pas possible de tirer des décisions rendues dans les innombrables espèces soumises à la juridiction administrative, des règles, des principes qui auraient le double avantage de fixer la doctrine sur certains points, et sur d’autres de préparer des lois nécessaires ? L’entreprise était vaste, ardue, et elle demandait la double puissance de l’analyse et de la logique. Ces deux qualités, M. de Cormenin les possédait ; elles constituent encore aujourd’hui ce qu’il y a de plus réel dans son talent. Ces qualités expliquent le succès éclatant qu’obtinrent les Questions de droit administratif dès 1822, époque où parut la première édition. Jamais livre de jurisprudence n’a été si populaire, à ce point que pendant un moment il semblait représenter seul le droit administratif. Il ne faut toutefois pas oublier que dès 1818 M. Macarel, qui vivait alors dans une véritable intimité de pensées et d’études avec M. de Cormenin, prenait l’initiative pour débrouiller les principes de la matière[1]. Plus tard, M. Degérando traçait un vaste programme et comme une sorte de codification de la législation administrative. Enfin, dans ces derniers temps, M. Vivien s’est frayé une voie nouvelle en interrogeant les faits sociaux plus encore que les lois écrites. Dans la double sphère de la science et de la pratique administrative, il y a place pour tous les genres d’esprit et de vocation.

La révolution de 1830 trouva M. de Cormenin siégeant à la chambre des députés, et elle lui inspira dès les premiers momens plus de surprise et de dépit que d’enthousiasme. Tout en ayant voté avec la majorité constitutionnelle des 221, M. de Cormenin n’avait jamais pensé que la résistance du parlement et du pays aboutirait à une victoire populaire et décisive. Cet éclatant triomphe le prit au dépourvu ; il en fut embarrassé, presque blessé. Trop de liens le rattachaient à la restauration pour qu’il la vît disparaître sans regret. Que fallait-il augurer de ce gouvernement nouveau qui s’établissait au milieu d’une tempête, et sur lequel allaient sans doute fondre bien des orages ? L’enivrement démocratique était au comble : fallait-il s’en défendre ou le partager ? C’est au milieu de ces alternatives, de ces perplexités, que M. de Cormenin dut prendre un parti ; pour choisir le meilleur, il avait toute la maturité nécessaire, il avait alors quarante-trois ans[2]. On a souvent

  1. Elémens de Jurisprudence administrative, par L. Macarel, avocat, 1818.
  2. Dès les premiers momens de la révolution, quelques membres du gouvernement provisoire siégeant à l’Hôtel-de-Ville eurent l’idée d’offrir à M. de Cormenin les fonctions de commissaire au département du commerce et des travaux publics. M. de Cormenin les refusa.