Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/236

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tristesse, joie, amour, plaisir, douleur cruelle,
Ou quelque autre de ces états.
Mais ce n’est point cela, ne vous y trompez pas.
Qu’est-ce donc ? une montre. Et nous ? c’est autre chose.


Et ailleurs

Qu’on m’aille soutenir, après un tel récit,
Que les bêtes n’ont point d’esprit.
Pour moi, si j’en étais le maître,
Je leur en donnerais aussi bien qu’aux enfans.
Ceux-ci pensent-ils pas dès leurs plus jeunes ans ?
Quelqu’un peut donc penser, ne se pouvant connaître.


L’hypothèse de Descartes n’aurait pas mérité d’être rappelée, si elle ne témoignait quel effort désespéré tenta le grand philosophe pour échapper à la conviction spontanée que fait naître le spectacle de la nature animale. Mais il faut rentrer dans la réalité et examiner quelles sont les facultés des animaux et quelle est leur organisation nerveuse. Or, de même que la pathologie a témoigné d’une relation entre la lésion organique et le trouble fonctionnel, de même que les âges ont montré les facultés se dégageant du sein de la cellule germinale et arrivant par des degrés successifs à l’état complet, de même aussi, dans la série des êtres, la nature animale croît et s’étend avec l’organisation. Si on appliquait à cette série animale le principe de ceux qui ont voulu faire de l’espèce humaine une catégorie à part, il n’y aurait aucune raison pour ne pas trouver je ne sais combien de tronçons. En refusant d’admettre que les parties communes fassent le lien, on sépare, par exemple, le poisson du mammifère. En effet, la nature est singulièrement brute dans le poisson : rien que les appétits de la nutrition et le degré d’intelligence nécessaire pour les satisfaire. Le besoin même de la reproduction n’entraîne pas les conséquences qu’il a dans d’autres êtres, et les petits éclosent d’œufs déposés dans un lieu favorable, sans que les parens en aient connaissance ni souci. Si l’on compare cette nature sauvage et stérile avec un mammifère, avec le chien, quelle différence ! Amour de la progéniture, soins pour l’élever, attachement à un maître poussé jusqu’au dévouement le plus absolu, aptitude à s’instruire, mémoire, combinaison d’idées. Ne semble-t-il pas qu’il appartient à une essence supérieure et totalement distincte ? Il n’en est rien cependant, et le fond intellectuel et moral du poisson est dans le chien, fond sur lequel se sont édifiées de nouvelles facultés. De même les appétits fondamentaux du poisson, les facultés plus développées du mammifère sont dans l’homme, et en plus une certaine somme d’aptitudes sans analogues dans le bout inférieur de la série vivante. Ajoutons qu’il offre une constitution cérébrale qui, elle aussi, a des parties sans analogue dans le reste des animaux.

Les élémens de doctrine s’étant ainsi accumulés, et convergeant vers une seule et même direction, un homme célèbre entreprit d’en tirer