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coups à l’hérédité de la pairie. Si je pouvais ébrécher la liste civile ! » C’en est fait : le pamphlétaire est descendu dans l’arène, et il voudra d’un seul coup conquérir une popularité sans rivale.

Ç’a toujours été une des prétentions de M. de Cormenin d’être dans ses actes et dans ses écrits le plus logique des hommes. Ne s’est-il pas écrié quelque part : « Je leur montrerai ce que c’est qu’un logicien ! » C’est en honneur de la logique qu’il envoya sa démission à la chambre des députés le 12 août 1830, disant qu’il n’avait pas pouvoir pour prêter un serment à un nouveau roi. Toutefois ce serment, il le prêtait quelques mois plus tard en revenant siéger à la chambre. L’inconséquence était si flagrante, qu’il a été obligé lui-même de la reconnaître. « Je sais, a-t-il écrit, que j’aurais dû non-seulement donner ma démission, mais ne pas reparaître à la chambre ; je sais que j’aurais dû, non pas seulement protester, mais m’abstenir ; je sais que pour avoir été plus conséquent que tous les députés, sans exception, qui ont fait le roi et la charte, je ne l’ai pas encore été assez, et que, pour être parfaitement logique, j’aurais dû pousser jusqu’au bout la rigueur inexorable du principe[1]. » Après avoir ainsi manqué à la logique, M. de Cormenin crut expier sa faute en poussant à leurs dernières conséquences ses principes démocratiques, et c’est alors qu’il imagina d’attaquer directement la royauté. Il se prit à parler avec un singulier mépris non-seulement du gouvernement nouveau, mais de la monarchie restaurée en 1814. « Louis XVIII et Charles X avaient un ordinaire immense de gentilshommes de la chambre et de maîtres d’hôtel, écuyers, officiers des gardes, aumôniers, valets et courtisans, grands et petits, rouges, bleus, noirs, violets, galonnés, dorés, argentés, titrés, mitrés, moirés, portant manteaux, hermine, épaulettes, camails, rubans, cordons, plaques et chaînes d’or, etc., etc.[2]. » Mais n’est-ce pas à ces mêmes princes, auxquels M. de Cormenin donne par dérision un pareil entourage, qu’il avait demandé des lettres de noblesse ? Sous Louis XVIII, des lettres patentes conféraient à M. de Cormenin le titre de baron ; en 1826, Charles X le créait vicomte. Cinq ans après, M. de Cormenin traçait un tableau burlesque de la cour de Charles X et de Louis XVIII. Était-ce logique ? Néanmoins, dans un des traits les plus saillans de son caractère, M. de Cormenin a été fidèle à lui-même. Il a toujours aimé ce qui sépare de la foule, ce qui résonne, ce qui retentit. Issu d’une famille de robe, il a voulu s’agréger à la noblesse. Après 1830, il a cherché à se distinguer entre tous comme démocrate, à échapper à l’égalité républicaine par le fracas de sa réputation.

Oui, si M. de Cormenin a été pendant quelques années le plus virulent

  1. Première lettre sur la Charte et sur la Pairie.
  2. Première lettre politique sur la Liste civile. Cette première lettre parut à la fin de décembre 1831.