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des pamphlétaires, il a été entraîné à prendre ce rôle par une logique fausse et une vanité sincère. Qu’on ajoute à ces causes la vivacité des circonstances, la séduction et le despotisme exercés par certains applaudissemens, et l’on s’expliquera comment un homme qui s’était dévoué pendant dix-huit ans au culte des institutions et des idées monarchiques est arrivé d’un bond aux dernières exagérations de la démagogie ; confirmation nouvelle de la vérité de cette parole du duc de La Rochefoucauld : En France, tout arrive.

Mais enfin quelle est la valeur des écrits que dictèrent à M. de Cormenin ses passions ou plutôt ses caprices démocratiques durant dix ans environ ? Les pamphlets dont l’histoire a gardé le souvenir roulent toujours sur des questions capitales dans les destinées d’un peuple. Les lettres de M. de Cormenin sur la liste civile ont-elles cet avantage ? Quand les représentans du pays discutent, au commencement d’un règne, avec une scrupuleuse exactitude, les élémens de la dotation accordée à la couronne, ils remplissent un des devoirs de leur mandat. Ces comptes, ces détails, ont une importance véritable. Si l’on sort de cette juste mesure pour prétendre que la liberté, le sort du pays, dépendent de tel ou tel chiffre, on peut parvenir à dénaturer le débat, à l’envenimer, mais non pas à le grandir. Pour nous, qui ne sommes ni courtisan ni tribun, en relisant les pamphlets de M. de Cormenin sur la liste civile, sur les questions de dotation et d’apanage, nous avons admiré combien la véhémence convulsive de l’écrivain est peu en harmonie avec la nature même du sujet. Malgré tous ses efforts, l’écrivain ne peut faire oublier, qu’il ne s’agit après tout que d’un million de plus ou de moins, ou d’une somme de cinq cent mille francs. Aussi l’on se surprend à dire comme Sganarelle quand il connaît les motifs de la grande colère du docteur Pancrace : Je pensais que tout fût perdu. Quoi qu’il en soit, dans ces petits écrits M. de Cormenin montre une verve grossière, une énergie violente bien faite pour plaire à l’exaltation de l’esprit de parti ; il est inépuisable en invectives, il adresse à ses adversaires, avec plus d’abondance que de goût, tous les sarcasmes que lui suggère l’amertume de son humeur.

… Jussit quod splendida bilis. (HORACE.)

Il ne manque pas non plus d’habileté pour trouver le langage le plus agréable aux mauvais instincts de la nature humaine, et pour traiter l’envie comme une vertu patriotique.

Toutefois on ne lit pas long-temps M. de Cormenin sans éprouver une fatigue qu’explique la monotonie d’un style toujours égal dans sa raideur et sa violence. Pour changer à propos de ton, pour trouver ces contrastes, ces points de vue qui reposent le lecteur tout en lui découvrant des aspects nouveaux, M. de Cormenin n’a l’esprit ni assez flexible, ni