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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/297

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un dessin sévère. Ou, s’il voulait tenter cette entreprise périlleuse, il faudrait qu’il se résignât à des études longues et laborieuses ; mais sans doute il est déjà trop tard pour qu’il entreprenne des études nouvelles. Les faciles succès qu’il a obtenus et qu’il a souvent mérités lui font croire peut-être qu’il en sait assez. Qu’il se désabuse et qu’il apprécie mieux son talent. Ce qu’il fait ne relève pas du savoir. Les trouvailles de son pinceau suffisent pour plaire, mais ne suffiront jamais pour contenter.

M. Granet continue de peindre avec le même bonheur, la même habileté, les scènes religieuses. Je dis le même bonheur et la même habileté. En effet, depuis vingt ans, M. Granet n’a pas varié un seul jour. Ce qu’il faisait il y a vingt ans, il le fait aujourd’hui. Il distribue toujours la lumière avec une science consommée, et c’est là certainement la meilleure, la plus solide partie de son talent. Ne lui demandez pas de modeler finement une tête, une main. Il ne sait pas ou ne veut pas modeler : nous inclinons à croire qu’il ne sait pas, car depuis vingt ans les occasions ne lui ont pas manqué pour montrer son savoir. Mais il donne à toutes ses figures un véritable intérêt par la manière merveilleuse dont il les éclaire. Dans l’l’Interrogatoire de Girolamo Savonarola, dans la Célébration de la messe à l’autel de Notre-Dame de Bon-Secours, il a épuisé toutes les ressources de son talent. Il n’y a pas une figure dans ces deux toiles qui soit dessinée d’une façon satisfaisante, pas une tête dont le modelé soutienne l’analyse, et pourtant ces deux toiles plaisent et doivent plaire. Pourquoi ? Parce que toutes les figures sont admirablement éclairées, et ce mérite si rare appelle l’indulgence sur les défauts nombreux de l’exécution. Je ne parle pas des autres compositions envoyées cette année par M. Granet, où les défauts que je signale sont encore plus sensibles. L’attention, en se concentrant sur une seule figure, provoque nécessairement un jugement plus sévère.

M. Gendron, qui pour nous est un nom nouveau, a montré dans la Danse des Willis une imagination gracieuse, un véritable talent de composition. Malheureusement l’exécution n’est pas à la hauteur de la pensée. Cette ronde de fées est pleine de charme ; les mouvemens ont la légèreté, l’abandon que le poète se plaît à rêver ; mais ces qualités si précieuses ne suffisent pas pour contenter les regards studieux. Gravées fidèlement, c’est-à-dire dépouillées du charme de cette lumière douteuse où elles sont plongées, réduites à leur valeur linéaire, toutes ces figures mériteraient des reproches nombreux, car elles sont dessinées avec une négligence difficile à comprendre. M. Gendron est trop indulgent pour lui-même, ou se laisse égarer par les applaudissemens de ses amis. Il possède un talent plein de jeunesse et de fraîcheur ; il faut qu’il le féconde, qu’il l’agrandisse par l’étude attentive de la nature et des maîtres qui l’entourent à Florence. Je ne veux pas insister sur les défauts qui déparent l’Ange du Tombeau, du même auteur. Ici l’exécution