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définitif de cette grande épreuve, et que le vote de l’indemnité Pritchard a laissé des traces dangereuses et profondes. On assure, du reste, que la chambre aura sous peu à discuter ce mémoire d’apothicaire, débattu depuis dix-huit mois par les amiraux de France et d’Angleterre. Enfin une éclatante discussion politique doit, dit-on, s’interposer dans le budget de l’intérieur. Ce sera le bouquet de la session et l’ouverture de l’arène électorale.

La situation n’a pas notablement changé en Gallicie. L’Autriche continue de recueillir ce qu’elle a semé. Les paysans auxquels on a fait goûter le sang versent aujourd’hui celui des troupes envoyées pour les ramener à l’obéissance, et, de leur camp retranché de Niepolomice aux bords de la Vistule, ces bandes sauvages font trembler le gouvernement dont elles ont recueilli les encouragemens et les éloges pour leurs premiers exploits. Des colonnes de paysans parcourent la province dans tous les sens, arrêtant les voyageurs et réclamant les passeports. Il paraît certain que les commissaires impériaux Lazanski et Zalewski ont promis solennellement l’abolition des corvées, ce qui serait un changement complet dans le système de la propriété en ce pays ; mais les Jacques semblent moins empressés de se confier aux promesses du gouvernement qu’ils ne l’ont été de recevoir ses primes pour le meurtre et l’arrestation des propriétaires. Il est impossible encore de prévoir comment finira cette jacquerie, qui menace de s’étendre sur le territoire russe, où elle pourrait avoir des conséquences incalculables. Qu’on juge des gigantesques proportions que prendrait un mouvement de cette nature, si malheureusement il s’étendait dans un pays où la haine des moujicks contre les possesseurs du sol se révèle si souvent sous des formes atroces, et où le massacre récent de la famille Apraxin par ses paysans a montré jusqu’où pouvaient aller la rage et la vengeance ! On dit les Russes qui habitent Paris fort préoccupés de ce péril.

L’Autriche se trouve placée en ce moment dans une situation tristement analogue à celle où fut la commune de Paris après les massacres de septembre. Elle n’ose pas blâmer des crimes que tout au moins ses agens ont laissé commettre, elle est même contrainte de descendre jusqu’à en louer les auteurs et à parler de leur dévouement monarchique dans des termes semblables à ceux qu’on employait pour honorer le patriotisme des juges-bourreaux de l’Abbaye. D’un autre côté, un grand danger est sorti pour elle des moyens auxquels son gouvernement a cru pouvoir recourir, et celui-ci éprouve l’impérieux besoin de donner une demi-satisfaction à l’opinion publique de l’Europe. De là un recours à la publicité contraire à toutes les habitudes de la cour de Vienne ; de là les démentis officiels de M. Krieg, président du gouvernement de Lemberg, les vagues explications de l’Observateur ; de là surtout une lettre étrange écrite par l’un des publicistes les plus connus de la chancellerie aulique, en réponse aux allégations émises à la tribune de la chambre des députés, spécialement par M. de Castellane. Ce factum, généralement attribué à M. Jarke, est une œuvre des plus singulières. Il ne dénie aucun des crimes qui ont ensanglanté la Gallicie, et, passant sous silence tout ce qui fait l’intérêt principal de cette controverse, il évite le double péril de contester des faits incontestables et de paraître blâmer en quelque chose les hommes qui ont servi le gouvernement paternel dans une circonstance malheureuse. En revanche, l’écrivain officiel cite le Décalogue et Plutarque comme un avocat du XVe siècle ; il fait de l’érudition et même