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Le voyageur, après les salutations d’usage, est invité à s’asseoir à la droite et tout près du roi, entre Rundjet et M. Ventura, qui doit lui servir d’interprète. La mort, qui a moissonné les principales figures de ce groupe, donne aujourd’hui un intérêt de plus à cette scène, que nous tenons d’un témoin oculaire.

Le roi, qui n’a d’autre marque de sa dignité que sa place au sommet du demi-cercle dont nous venons de parler, est un petit homme maigre, d’une assez belle figure, quoique borgne par suite de la petite-vérole, dont il est légèrement marqué. L’œil droit, qui lui reste, est très grand. Il a le nez fin et un peu relevé, la bouche bien dessinée, les dents superbes, de petites moustaches qu’il roule sans cesse dans ses doigts, et une longue barbe blanche qui tombe sur sa poitrine. Sa physionomie mobile n’indique pas moins de vivacité que de pénétration. Sur sa tête, un petit turban de mousseline blanche est roulé sans aucune prétention ; sur ses épaules est jetée une espèce de manteau de cavalier à collet rabattu, qui a acquis le même genre de célébrité dans l’Inde que la redingote grise de Napoléon en Europe. Son habillement, tout-à-fait de fantaisie, se compose d’un tissu de cachemire blanc, avec des broderies d’or au collet, aux paremens et sur les coutures. Il a des pantalons étroits et les pieds nus. En fait d’ornemens, il ne porte que de grandes boucles d’oreilles rondes, en or, avec de grosses perles, un collier de perles et des bracelets de rubis, au côté un sabre dont la poignée en or est enrichie de diamans et d’émeraudes.

Après le roi, la figure la plus intéressante du groupe est celle du jeune voyageur qu’une généreuse ardeur pour la science a conduit dans l’Inde. Jacquemont est un grand homme maigre, à charpente osseuse, au teint bilieux et fortement hâlé. Ses traits tirés accusent la fatigue et les privations. Sa main gauche, qu’il porte fréquemment à son côté droit, semble vouloir comprimer une dilatation du foie, dont il ressent déjà les premières atteintes. Bien que la coupe de sa figure soit désavantageuse, ses yeux ont une grande douceur, et son sourire une finesse et une grace parfaites. Il répond en hindoustani au roi, qui tantôt lui parle dans cette langue, et tantôt s’exprime en peudjabi. Dans ce dernier cas, c’est le général Ventura qui leur sert d’intermédiaire.

Rundjet commence par faire à Jacquemont toute espèce de questions sur lord William Bentinck, alors gouverneur-général de l’Inde anglaise, sur la nature de son pouvoir vis-à-vis des gouvernemens de Bombay et de Madras, etc. ; puis il l’interroge sur le cérémonial en usage à la cour du roi d’Angleterre (alors Guillaume IV), sur la quantité des revenus de ce souverain, et le nombre de ses soldats, sur les cipayes de la compagnie et leur valeur militaire comparativement à celle des Européens. A toutes ces questions, Jacquemont s’efforce de répondre de manière à donner satisfaction aux Anglais dont il vient