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— Alors la femme devient donc libre ?

— Certainement, et vous aussi ; mais ; tant que vous restez dans le pays, vous êtes lié.

— Au fond, c’est encore assez juste ; mais quelle est la quatrième sorte de mariage ?

— Celle-là, je ne vous conseille pas d’y penser. On vous marie deux fois : à l’église cophte et au couvent des franciscains.

— C’est un mariage mixte ?

— Un mariage très solide : si vous partez, il vous faut emmener la femme ; elle peut vous suivre partout et vous mettre les enfans sur les bras.

— Alors c’est fini, on est marié sans rémission ?

— Il y a bien des moyens encore de glisser des nullités dans l’acte… mais surtout gardez-vous d’une chose, c’est de vous laisser conduire devant le consul…

— Mais cela, c’est le mariage européen.

— Tout-à-fait. Vous n’avez qu’une seule ressource alors ; si vous connaissez quelqu’un au consulat, c’est d’obtenir que les bans ne soient pas publiés dans votre pays.

Les connaissances de cet éleveur de vers à soie sur la question des mariages me confondaient ; mais il m’apprit qu’on l’avait souvent employé dans ces sortes d’affaires. Il servait de truchement au wékil, qui ne savait que l’arabe. Tous ces détails du reste m’intéressaient au dernier point.

Nous étions arrivés presque à l’extrémité de la ville, dans la partie du quartier cophte qui fait retour sur la place de l’Esbekieh, du côté de Boulac. Une maison d’assez pauvre apparence au bout d’une rue encombrée de marchands d’herbes et de fritures, voilà le lieu où la présentation devait se faire. On m’avertit que ce n’était point la maison des parens mais un terrain neutre. — Vous allez en voir deux, me dit le Juif, et, si vous n’êtes pas content, on en fera venir d’autres. — C’est parfait ; mais, si elles restent voilées, je vous préviens que je n’épouse pas. — Oh ! soyez tranquille, ce n’est pas ici comme chez les Turcs. — Les Turcs ont l’avantage de pouvoir se rattraper sur le nombre. — C’est en effet tout différent.

La salle basse de la maison était occupée par trois ou quatre hommes en sarrau bleu, qui semblaient dormir ; pourtant, grace au voisinage de la porte de la ville et d’un corps-de-garde situé auprès, cela n’avait rien d’inquiétant. Nous montâmes par un escalier de pierre sur une terrasse intérieure. La chambre où l’on entrait ensuite donnait sur la rue, et la large fenêtre, avec tout son grillage de menuiserie, s’avançait, selon l’usage, d’un demi-mètre au dehors de la maison. — Une fois assis dans cette espèce de garde-manger, le regard plonge sur les