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deux extrémités de la rue ; on voit les passans à travers les dentelures latérales. C’est d’ordinaire la place des femmes, d’où, comme sous le voile, elles observent tout sans être vues. On m’y fit asseoir, tandis que le wékil, son fils et le Juif prenaient place sur les divans. Bientôt arriva une femme cophte voilée, qui, après avoir salué, releva son borghot noir au-dessus de sa tête, ce qui, avec le voile rejeté en arrière, composait une sorte de coiffure israélite. C’était la khatbé, ou wékil des femmes. Elle me dit que les jeunes personnes achevaient de s’habiller. Pendant ce temps, on avait apporté des pipes et du café à tout le monde. Un homme à barbe blanche, en turban noir, avait aussi augmenté notre compagnie. C’était le prêtre cophte. Deux femmes voilées, les mères sans doute, restaient debout à la porte.

La chose prenait du sérieux, et mon attente était, je l’avoue, mêlée de quelque anxiété. Enfin deux jeunes filles entrèrent, et successivement vinrent me baiser la main. Je les engageai par signes à prendre place auprès de moi. — Laissez-les debout, me dit le Juif, ce sont vos servantes. — Mais j’étais encore trop Français pour ne pas insister. Le Juif parla et fit comprendre sans doute que c’était une coutume bizarre des Européens de faire asseoir les femmes devant eux. Elles prirent enfin place à mes côtés.

Elles étaient vêtues d’habits de taffetas à fleurs et de mousseline brodée. C’était fort printanier. La coiffure, composée du tarbouch rouge entortillé de gazillons, laissait échapper un fouillis de rubans et de tresses de soie ; des grappes de petites pièces d’or et d’argent, probablement fausses, cachaient entièrement les cheveux. Pourtant il était aisé de reconnaître que l’une était brune et l’autre blonde ; on avait prévu toute objection. La première « était svelte comme un palmier et avait l’œil noir d’une gazelle, » avec un teint légèrement bistré ; l’autre, plus délicate, plus riche de contours, et d’une blancheur qui m’étonnait en raison de la latitude, avait la mine et le port d’une jeune reine éclose au pays du matin.

Cette dernière me séduisait particulièrement, et je lui faisais dire toute sorte de douceurs sans cependant négliger entièrement sa compagne. Toutefois le temps se passait sans qua j’abordasse la question principale ; alors la khatbé les fit lever et leur découvrit les épaules qu’elle frappa de la main pour en monter la fermeté. Un instant, je craignis que l’exhibition n’allât trop loin, et j’étais moi-même un peu embarrassé devant ces pauvres filles, dont les mains recouvraient de gaze leurs charmes à demi trahis. Enfin le Juif me dit : « Quelle est votre pensée ? — Il y en a une qui me plaît beaucoup, mais je voudrais réfléchir : on ne s’enflamme pas tout d’un coup ; nous les reviendrons voir. » Les assistans auraient certainement voulu quelque réponse plus précise. La khatbé et le prêtre cophte me firent presser de prendre une