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décision. Je finis par me lever en promettant de revenir, mais je sentais qu’on n’avait pas grande confiance.

Les deux jeunes filles étaient sorties pendant cette négociation. Quand je traversai la terrasse pour gagner l’escalier, celle que j’avais remarquée particulièrement semblait occupée à arranger des arbustes. Elle se retourna en souriant, et, faisant tomber son tarbouch, elle secoua sur ses épaules de magnifiques tresses dorées, auxquelles le soleil donnait un vif reflet rougeâtre. Ce dernier effort d’une coquetterie d’ailleurs bien légitime triompha presque de ma prudence, et je fis dire à la famille que j’enverrais certainement des présens.

« Ma foi, dis-je en sortant au complaisant israélite, j’épouserais bien celle-là devant le Turc. — La mère ne voudrait pas ; elles tiennent au prêtre cophte. C’est une famille d’écrivains : le père est mort ; la jeune fille que vous avez préférée n’a encore été mariée qu’une fois, et pourtant elle a seize ans. — Comment ! elle est veuve ? — Non, divorcée. — Oh ! mais cela change la question ! » J’envoyai toujours une petite pièce d’étoffe comme présent.

L’aveugle et son fils se remirent en quête, et me trouvèrent, d’autres fiancées. C’étaient toujours à peu près les mêmes cérémonies ; mais je prenais goût à cette revue du beau sexe cophte, et moyennant quelques étoffes et menus bijoux l’on ne se formalisait pas trop de mes incertitudes. Il y eut une mère qui amena sa fille dans mon logis : je crois bien que celle-là aurait volontiers célébré l’hymen devant le Turc ; mais, tout bien considéré, cette fille était d’âge à avoir été déjà épousée plus que de raison.


IX – LE JARDIN DE ROSETTE

Le barbarin qu’Abdallah avait mis à sa place, un peu jaloux peut-être de l’assiduité du Juif et de son wékil, m’amena un jour un jeune homme fort bien vêtu, parlant italien et nommé Mahomet, qui avait à me proposer un mariage tout-à-fait relevé. — Pour celui-là, me dit-il, c’est devant le consul. Ce sont des gens riches, et la fille n’a que douze ans. — Elle est un peu jeune pour moi ; mais il paraît qu’ici c’est le seul âge où l’on ne risque pas de les trouver veuves ou divorcées. — Signor è vero, ils sont très impatiens de vous voir, car vous occupez une maison où il y a eu des Anglais ; on a donc une bonne opinion de votre rang. J’ai dit que vous étiez un général. — Mais je ne suis pas un général. — Allons donc ! Vous n’êtes pas un ouvrier, ni un négociant (cavadja). Vous ne faites rien ? — Pas grand’chose. — Eh bien ! cela représente ici au moins le grade d’un myrlivoix (général).

Je savais déjà qu’en effet au Caire, comme en Russie, l’on classait