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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/444

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l’érudition, aux La Harpe, aux Daunou, aux Fontenelle, à Bayle lui-même ! Que ceci du moins demeure présent, non pour commander l’indulgence, mais pour maintenir la simple équité, quand il s’agit d’un écrivain si précoce, si laborieux, si continuellement en progrès, et qui, au milieu de tant de fruits, tous de bonne nature, en a produit quelques-uns d’excellens.

Charles Labitte était né le 2 décembre 1816 à Château-Thierry. Son père, qui y remplissait les fonctions de procureur du roi, passa peu après en cette même qualité au tribunal d’Abbeville, où il s’est vu depuis fixé comme juge. Le jeune enfant fut ainsi ramené dès son bas âge dans le Ponthieu, patrie de sa mère, et c’est là qu’il fut élevé sous l’aile des plus tendres parens et dans une éducation à demi domestique. Il suivait ses classes au collége d’Abbeville ; il passait une partie des étés à la campagne de Blangermont près Saint-Pol, et, durant cette adolescence si peu assujettie, il apprenait beaucoup, il apprenait surtout de lui-même. Je ne puis m’empêcher de remarquer que cette libre éducation, si peu semblable à la discipline de plus en plus stricte d’aujourd’hui, sous laquelle on surcharge uniformément de jeunes intelligences, est peut-être celle qui a fourni de tout temps aux lettres le plus d’hommes distingués : l’esprit, à qui la bride est laissée un peu flottante, a le temps de relever la tête et de s’échapper çà et là à ses vocations naturelles. L’érudition de Charles Labitte y gagna un air d’agrément et presque de gaieté qui manque trop souvent à d’autres jeunes éruditions très estimables, mais de bonne heure contraintes et comme attristées. Au reste, s’il lisait déjà beaucoup et toutes sortes de livres, il ne se croyait pas encore voué à un rôle de critique ; il eut là de premiers printemps qui sentaient plutôt la poésie, et j’ai sous les yeux une suite de lettres écrites par lui dans l’intimité durant les années 1832-1836, c’est-à-dire depuis l’âge de seize ans jusqu’à celui de vingt, dans lesquelles les rêveries aimables et les vers tiennent la plus grande place. Ces lettres sont adressées à l’un de ses plus tendres amis, M. Jules Macqueron, qui faisait lui-même d’agréables vers ; Labitte lui rend confidences pour confidences, et il y mêle d’utiles conseils littéraires : l’instinct du futur critique se retrouverait par ce coin-là. Nous ne citerons rien des vers mêmes : ils sont faciles et sensibles, de l’école de Lamartine ; mais c’est plutôt l’ensemble de cette fraîche floraison qui m’a frappé, comme d’une de ces prairies émaillées au printemps où aucune fleur en particulier ne se détache au regard, et où toutes font un riant accord. Il y a aussi des surabondances de larmes que je ne saurais comparer qu’à celles des sources en avril. Les journées n’étaient pas rares pour lui où il pouvait écrire à son ami, après des pages toutes remplies d’effusions « Je suis dans un jour où je vois tout idéalement et douloureusement, et enfin, s’il m’est possible de m’exprimer ainsi, lamartinement. » Faisant