Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la ligue, et ç’a été une mode, chez plus d’un historien paradoxal comme chez nos jeunes catholiques cavaliers, ou chez nos jacobins néo-catholiques, de se déclarer subitement ligueurs. Que vous dirai-je ? on est ligueur en théorie, et on trouve les idylles de Fontenelle très poétiques, comme on a la barbe en pointe ; il ne faut pas disputer des goûts ni des dilettantismes. Charles Labitte, qui était un esprit resté naturel parmi les jeunes (qualité des plus rares aujourd’hui), dans le livre utile où il apporte toutes sortes de preuves nouvelles en aide à la saine tradition, fait justice de ces travers en sens opposé. Il ressort clairement de ce renfort de pièces à l’appui que, si la ligue recélait à certains égards quelques idées d’avenir, elle en représentait encore plus de fixement stupides et d’irrévocablement passées ; que, si, dans ses hardiesses de doctrine, elle anticipait quelques articles du catéchisme de 1793, elle en reproduisait encore plus de la théocratie du XIIe siècle ; qu’enfin elle était fanatique en religion autant qu’anti-nationale en politique. La conclusion de Charles Labitte ne diffère donc en rien de la solution pratique qui a prévalu, de celle de la Satyre Ménippée, et des honnêtes gens d’alors, parlementaires et bourgeois ; il donne franchement dans cette religion politique des L’Hôpital et des Pithou, qu’on peut bien se lasser à la longue de trouver toujours juste comme Aristide, mais qui n’en reste pas moins juste pour cela. Je veux citer le passage excellent où il la définit le mieux :


« Cette sage honnêteté, dit-il[1], cette modération, dont les politiques se piquaient, remontait jusqu’à Érasme, mais à Érasme modifié par L’Hôpital, L’illustre chancelier fut, en effet, par conscience et par supériorité, on l’a très bien dit, ce que l’auteur des Colloques avait été par circonspection et par finesse d’esprit. Le bon sens d’Érasme, la probité de L’Hôpital, ce fut là le double programme de ces politiques d’abord raillés par tout le monde, de ce tiers-parti auquel, dit D’Aubigné, les réformés croyoient aussi peu qu’au troisième lieu qui est le purgatoire. » Mais laissez faire le temps, laissez les passions s’amortir, laissez l’esprit français, avec sa logique droite, se retrouver dans ce pêle-mêle, et ce parti grandira, et on saura les noms des magistrats intègres qui l’appuient : Tronson, Édouard Molé, De Thou, Pasquier, Le Maistre, Guy Coquille, Pithou, Loisel, Montholon, Lestoile, De La Guesle, Harlay, Séguier, Du Vair, Nicolaï ; on devinera les auteurs de la Ménippée, Pierre Le Roy, Passerat, Gillot, Rapin, Florent Chrestien, Gilles Durant, honnêtes représentans de la bourgeoisie parisienne. Les ligueurs modérés, comme Villeroy et Jeannin, se rangeront même un jour sous ce drapeau qui deviendra celui de Henri IV et de Sully. »

  1. Page 105.