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tites filles, qui est commun aux riches comme aux pauvres. » La débauche, affranchie de tout frein, multiplie les naissances à tel point que le nombre des enfans conservés demeure assez considérable pour encombrer les voies sociales. Ces mêmes hommes, si cruels pour leur progéniture, sont d’une piété exemplaire pour leurs ascendans. Les soins que les fils prodiguent aux pères et mères diminuent considérablement la mortalité des vieillards : c’est là sans doute une cause de l’exubérance de la population.

Quant aux autres contrées de l’Asie, dont plusieurs ont alimenté jadis des nations florissantes, leur état social depuis quelques siècles explique suffisamment leur dévastation. Chez les nomades de la haute Asie, la nécessité de changer de campement pour remplacer les pâturages qui s’épuisent est une cause permanente de guerre. Le brigandage est le seul métier que ces hommes jugent digne d’eux ; les femmes, sur qui retombe le poids des travaux utiles, vivent dans une servitude laborieuse peu favorable à la fécondité. L’extinction graduelle des races ottomanes, au milieu des plus beaux pays de la terre, a deux causes bien évidentes, le despotisme sous lequel elles vivent et la polygamie. J’incline à croire que l’orgueilleux espoir d’obtenir des armées inépuisables et de conquérir le monde eut autant de part que la sensualité à l’institution de la polygamie. Le résultat obtenu a démenti ce qu’on attendait. Il est prouvé que les familles chrétiennes de la Turquie ont plus d’enfans que celles où règnent plusieurs femmes. On dit même que, sous l’influence de la polygamie, les naissances féminines sont deux ou trois fois plus nombreuses que celles du sexe masculin. Ce phénomène, dont la physiologie peut donner raison, semble indiquer que les mahométans altèrent leur énergie virile par la prodigalité de leur amour. Un autre effet de la polygamie est de neutraliser la classe pauvre, qui est naturellement la plus féconde. La beauté, en Turquie, étant le seul titre, la seule dot qu’on exige des femmes, les plus belles, quelle que soit leur origine, entrent dans le sérail des riches comme épouses ou comme esclaves. Les pauvres, qui n’ont pas le moyen d’acheter les belles étrangères, sont réduits à vivre dans le célibat, ou à se contenter des femmes les moins attrayantes de leur pays.

Dans certaines contrées peu favorisées de l’Asie, et dans beaucoup d’îles de la mer du Sud, la crainte des calamités qu’amène un surcroît de population a inspiré des coutumes bizarres et dégradantes. Sur quelques côtes stériles du Malabar, il est d’usage que plusieurs hommes s’attachent, sans mariages réguliers, à une seule femme. Sous l’âpre climat du Thibet, tous les frères, après avoir mis en commun les biens de la famille, s’entendent pour n’avoir qu’une seule épouse. Ce code matrimonial a limité la population à deux millions d’ames sur un plateau plusieurs fois grand comme la France. Si la statistique pouvait appli-