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nous engager pour notre compte dans une contre-exposition du platonisme ; nous pouvons opposer à M. Ravaisson le jugement contraire et plus vrai de l’historien de l’école d’Alexandrie. M. Jules Simon, dont nous avons déjà signalé l’excellente appréciation de l’esprit général de Platon, rappelle avec raison à la fin de son livre que, si dans le Parménide l’unité absolue apparaît comme la première des hypothèses métaphysiques, dans le Timée Platon nous représente le souverain Dieu comme un ouvrier excellent, attentif à son œuvre, et charmé de l’avoir produite, et que là il n’a omis aucun des principes qui constituent la divine Providence. M. Félix Ravaisson s’est uniquement attaché à relever, dans le disciple de Socrate, pour les condamner, ce qu’on pourrait appeler ses tendances mathématiques ; mais il y a autre chose dans Pla ton, dont le génie avait plus d’étendue que de rigueur.

Dans le premier volume de son Essai, M. Ravaisson a exposé les principes métaphysiques du péripatétisme avec une pénétration, avec une fermeté et une liberté d’esprit dignes des plus grands éloges. Il nous donnait alors la pensée d’Aristote dans toute sa naïveté, s’il est permis de parler ainsi. Aujourd’hui il y a dans son esprit et dans son travail des traces visibles de certaines préoccupations ; on dirait qu’à l’exemple des néo-platoniciens il ne s’occupe d’Aristote que dans des desseins arrêtés d’avance. N’aurait-il pas l’intention, le désir de marier le spiritualisme d’Aristote au spiritualisme chrétien, en refusant à Platon une influence vraiment puissante sur le christianisme et la philosophie ? Nous n’affirmons pas, puisque la suite de l’œuvre peut seule nous éclaircir ce point, qu’un pareil parti ait été pris par M. Ravaisson d’une manière définitive, irrévocable ; nous disons seulement qu’une lecture attentive et scrupuleuse de son deuxième volume suggère et autorise la conjecture que nous venons d’exprimer.

Assurément la métaphysique d’Aristote a pour caractère fondamental un spiritualisme profond et infini, mais ce spiritualisme n’a pas avec le christianisme ces analogies décisives qui permettent l’alliance ou la confusion de deux doctrines. Le dieu d’Aristote est, il est vrai, un principe actif, mais il ne descend pas à gouverner les choses. Nous sommes loin de la Providence des chrétiens. Sans cesse le mal, d’après Aristote, est vaincu par le bien, et le monde, tel qu’il est, est le meilleur des mondes possibles. Cet optimisme concorde-t-il avec les traditions chrétiennes ? Aux yeux du Stagyrite, l’ame est distincte du corps, mais sans le corps elle ne peut pas être. Quant à l’entendement, lié à l’ame comme l’ame au corps, il se multiplie avec les individus et périt avec eux. La pure intelligence laisse retomber les ames avec les corps dans le néant, d’où ils sortirent ensemble ; seule, elle subsiste toujours la même, immortelle, inaltérable. Que devient, avec cette doctrine, l’immortalité de l’ame enseignée par le christianisme ? Tout au contraire, nous voyons